Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mesure les influences d’un climat non approprié à leur nature, les animaux ne s’acclimatent pas individuellement : la sélection seule, spontanée ou artificielle, inconsciente ou raisonnée, peut opérer entre les individus de tempéramens divers un triage tel que les mieux adaptables résistent lorsque les autres succombent : alors intervient heureusement la loi de l’hérédité, qui, fixant dans la progéniture des survivans une partie au moins des avantages de résistance de leurs ascendans, peut conserver les modifications lentement accumulées du tempérament natif de l’espèce. Ces modifications graduelles, enfermées d’ailleurs le plus souvent en des limites très étroites, se traduisent mieux dans leur résultat final par le mot de naturalisation que par celui d’acclimatation. L’espèce, en se naturalisant, se modifie pour s’adapter au milieu nouveau qui l’entoure. Les individus peuvent tout au plus s’aguerrir par l’habitude, en évitant les trop brusques transitions, ce que l’homme fait pour lui-même par le vêtement, par les abris, par les températures artificielles, mais ce que la plante, fixée au sol et passivement exposée aux intempéries, ne saurait évidemment réaliser. Donc, en admettant que l’homme s’acclimate et que, grâce à lui, quelques animaux s’adaptent dans une certaine mesure à des conditions de climat nouvelles pour eux, les végétaux s’introduisent, se naturalisent, si l’on veut ; mais cette adaptation, en la supposant réelle, se fait en tout cas lentement, progressivement, par sélection graduée des individus de générations successives, par la création de races ou de variétés locales que l’expérience aura reconnues plus aptes à se plier aux conditions spéciales du climat et du milieu[1].

  1. Je ne veux pas traiter avec détail ici cette question si délicate des modifications graduées que le climat exercerait à la longue sur la descendance des plantes importées par l’homme. Entre les partisans de l’immutabilité absolue de l’espèce dans ces conditions et les partisans de la variabilité très large se placent ceux qui reconnaissent en théorie la possibilité de création de variétés ou de races de mieux en mieux adaptées aux climats nouveaux, qui constatent même la chose en fait encore dans notre période actuelle de la vie du globe, mais qui renferment ces variations dans des limites très étroites, et n’admettent de changemens plus profonds qu’en ce qui concerne les types dérivés de périodes géologiques antérieures. C’est dans cet ordre d’idées que je me rattache absolument aux opinions d’un juge très autorisé, M. Alphonse de Candolle. « Les qualités physiologiques (des plantes) changent à la longue, lorsque les conditions extérieures ont changé et que l’espèce n’en a pas été frappée au point de périr. On est obligé de l’admettre d’après la succession des flores ; mais la culture des plantes nous prouve aussi que les modifications physiologiques à l’égard des climats sont plus rares, plus difficiles à obtenir que celles des formes. Examinez le catalogue d’un grand établissement d’horticulture, vous y verrez quelques variétés précoces ou tardives qu’on peut attribuer à une manière particulière de sentir la chaleur, plus rarement des variétés qualifiées de rustiques, c’est-à-dire supportant bien le froid, et un nombre dix ou vingt fois plus considérable de variétés de formes ou de couleur. » Alph. de Candolle, dans son remarquable travail intitulé Constitution dans le règne végétal de groupes physiologiques applicables à la géographie botanique ancienne et moderne, mai 1874.