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II

Située entre le 41e et le 45e degré de latitude nord, entre le 137e et le 141e degré de longitude est, l’île d’Yézo pourrait se comparer grossièrement à une tête d’éléphant recourbant sa trompe vers le sud ; Hakodaté est au bout de la trompe. On se ferait une idée très inexacte du climat, si l’on n’avait égard qu’à la latitude ; c’est surtout une question de vents et de courans. Placée dans le voisinage de la Sibérie, la dernière des îles japonaises en reçoit les vents glacés, tandis que le Kuro-siwo (torrent noir), grand courant venu de l’équateur, qui baigne et réchauffe les côtes du Nippon[1], tourne brusquement à l’est dans le Pacifique et se dirige vers l’Amérique, abandonnant Yézo aux courans polaires. Aussi l’été y est-il plus court et plus frais (mon thermomètre n’a pas dépassé 25 degrés pendant la deuxième quinzaine d’août), et l’hiver extrêmement rigoureux. La neige couvre les montagnes dès le mois d’octobre.

C’est seulement au XVIIe siècle que les Européens découvrirent cette contrée ; mais les Japonais les avaient devancés, et dès le XIVe siècle les chroniques rapportent que Yoshitsuné, frère du shiogoun Yoritomo, s’y réfugia pour échapper à la jalousie et aux soupçons du monarque qu’il avait aidé à saisir le pouvoir. Il n’y avait alors d’autre population que celle des Aïnos, appelés aussi Yessos, qui lui ont donné son nom. Il paraît bien probable que ces aborigènes occupaient aussi jadis une partie du Nippon, qu’ils évacuèrent pour faire place aux conquérans venus du sud ; ils s’établirent également dans l’île plus septentrionale de Sagalhien (ou Karafto), par où l’archipel japonais touche au continent russe. Plus tard, les vainqueurs pénétrèrent à la suite des vaincus dans ces deux îles et s’y établirent en maîtres sans rencontrer de résistance. Ils fondèrent aussi à Itorup, autre île au sud de Sagalhien, un établissement fortifié où résidaient des officiers du shiogoun, surveillant et protégeant les Aïnos à la tête de quelques soldats, ou plutôt attestant par leur présence le fait de l’occupation japonaise. En 1806, les Russes, établis dans le nord de Sagalhien, tandis que les Japonais possédaient le sud, vinrent avec deux vaisseaux demander à ces derniers la permission de nouer commerce avec eux dans cette partie de leur empire, sous la menace de ravager le pays en cas de refus. Grande fut l’alarme du gouvernement, qui ne négligea rien pour se mettre en état de défense. Malgré ses efforts, les Russes, revenus l’année

  1. Nippon ou Ni-hon signifie plus exactement l’empire japonais ; c’est pour déférer à un usage établi qu’on désignera ainsi la grande île.