Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suivante, n’eurent pas grand’peine à réaliser leurs menaces. Ils chassèrent la garnison d’Itorup et pillèrent tout ce que contenait la forteresse. On sait comment les Japonais se vengèrent en détenant captif pendant trois ans l’amiral Golovhine ; mais ils sentaient qu’il y avait de ce côté un danger persistant pour leur sécurité : aussi, lorsque plus tard l’expédition du commodore Parry les eut contraints d’entrer en relations avec les Européens, leur première ambassade fut-elle envoyée à Saint-Pétersbourg pour régler la délimitation, des possessions respectives des deux pays dans Sagalhien. On proposait alors de s’arrêter de part et d’autre au 50e parallèle, mais le gouvernement russe sut gagner du temps. Il sut, ce qui est mieux, le mettre à profit ; quand la question fut reprise plus tard, son occupation s’étendait au-delà, et, quand on la reprendra désormais, on s’apercevra qu’il est le seul occupant.

Au début des relations ouvertes par les traités, on put croire que la Russie nourrissait sur l’île même de Yézo des projets de conquête ; ses navires de guerre paraissaient souvent dans le port d’Hakodaté, poursuivant activement leurs travaux hydrographiques dans toutes les eaux environnantes ; au lieu d’envoyer à Yeddo, comme les autres puissances, un ministre résident, elle s’était contentée de nommer un consul à Hakodaté, comme si elle eût voulu à la fois éviter l’occasion de se jeter dans les querelles de l’Europe avec le Japon, et traiter avec lui sur le pied d’égalité ; mais il faut reconnaître que ces symptômes inquiétans ont, quant à présent au moins, disparu. M. de Budshow a quitté le poste de consul à Hakodaté pour venir prendre à Yeddo celui de ministre, auquel il était naturellement appelé ; le commerce avec la Sibérie n’a pris aucun développement et, sans la présence insolite des missionnaires russes à Hakodaté, on pourrait dire que rien n’accuse plus les projets prêtés au gouvernement de Saint-Pétersbourg. Quoi qu’il en soit, le gouvernement de Yeddo a senti qu’il ne devait pas laisser péricliter son droit incontestable, et n’a rien négligé pour l’affermir.

Autrefois les terres incultes avaient été divisées entre quelques grands daïmios déjà nantis d’autres fiefs ; mais ces souverains absens et tout entiers à leurs intrigues de cour ne s’occupaient de leurs possessions d’outre-mer que pour en tirer quelques impôts sans les administrer. De là l’état misérable du pays. La révolution de 1868, quand elle eut vaincu les partisans du taïcoun dans leur dernier refuge, précisément à Hakodaté, remplaça les daïmios absens par des gouverneurs de ken ou provinces forcés de résider, mais dépourvus de moyens d’action pour ramener à la vie normale une population de chasseurs et de pêcheurs, et la contrée semblait vouée pour longtemps encore à l’oubli, lorsque, il y a quelques