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De toute façon, que la question décisive s’engage sur la motion renouvelée de M. Casimir Perier, sur le rapport de M. de Ventavon, sur quelque proposition directe du gouvernement, il n’y a plus moyen d’éluder ou d’ajourner une solution. L’assemblée elle-même est la première intéressée pour son autorité, pour son crédit, à ne pas laisser se prolonger une situation qui n’a plus du régime parlementaire que le nom et l’apparence. Qu’on se rende bien compte de cette situation. S’il y avait une majorité réelle, sérieuse, elle aurait sans nul doute la puissance et la légalité pour elle ; il n’y aurait rien à dire, ou du moins, après avoir discuté avec elle, il n’y aurait qu’à se soumettre à ce qu’elle déciderait comme à l’acte régulier d’un pouvoir légitime. La vérité est que cette majorité, qu’il n’est point impossible de retrouver, mais qui ne peut se reconstituer que dans certaines conditions nouvelles, n’existe plus, depuis longtemps et que, par un phénomène étrange, l’assemblée est livrée à la tyrannie des minorités. C’est le secret de l’histoire parlementaire de cette dernière année. L’extrême droite n’est qu’une minorité, et cependant, si elle ne fait pas les ministères, elle les défait assez lestement ; elle s’impose quelquefois, ou bien par ses défections elle réussit à tout paralyser. C’est un appoint avec lequel on se croit tenu de compter. Le parti bonapartiste n’est qu’une minorité plus infime encore, et pourtant à certains momens il a pesé sur la direction des affaires en refusant ou en prêtant le dangereux appui des quelques voix dont il dispose. Les radicaux sont, eux aussi, une minorité, et en se déplaçant ils peuvent aider au succès accidentel des coalitions les plus bizarres, de sorte que voilà une assemblée qui est la représentation suprême de la souveraineté nationale, et où cette souveraineté est à la merci de fractions d’opinion impuissantes par elles-mêmes, mais suffisantes pour tout empêcher ou pour tout dénaturer.

Remarquez bien ce qu’il y a d’extraordinaire et nous osons dire d’absolument monstrueux dans ces conditions où des minorités hardies peuvent tenir en échec une majorité hésitante et confuse. Lorsque les légitimistes extrêmes et les bonapartistes refusent de voter une seconde chambre, une organisation constitutionnelle, est-ce parce qu’ils trouvent ces propositions défectueuses ou trop peu conservatrices ? Nullement, ils ne s’en occupent même pas ; ils ne veulent pas d’une organisation parce que c’est une organisation, parce qu’il leur plaît, dût le pays y périr, de prolonger un provisoire précaire et troublé d’où ils espèrent voir sortir, les uns la monarchie, les autres l’empire. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est de prier M. le maréchal de Mac-Mahon de rester le gérant débonnaire d’une situation où ils veulent rester libres de mettre chaque jour en question le gouvernement.

Est-ce là ce qu’on appelle le régime parlementaire ? C’est une sorte d’anarchie légale où les minorités, dans un intérêt de parti, prétendent