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avait à faire l’éloge d’un homme qui fut, lui aussi, un esprit fin et habile en littérature comme en politique, Saint-Marc Girardin, et hier encore M. Dumas, l’éminent chimiste, traçait devant l’Académie des Sciences le portrait d’un savant étranger, M. de La Rive. Bientôt viendront d’autres réceptions, celles de M. Caro, de M. Alexandre Dumas, à qui M. d’Haussonville doit répondre, et en attendant, entre une comédie ou un drame et son discours d’entrée à l’Académie française, l’auteur du Demi-Monde vient de se donner le passe-temps d’écrire pour un livre illustré une préface à Manon Lescaut. Que dirait l’abbé Prévost, s’il pouvait lire le commentaire de l’aimable et ingénieux roman, « l’opinion de l’auteur de la Dame aux Camélias sur Manon Lescaut ? » Ce serait aussi intéressant pour lui que pour le public, et il serait peut-être aussi étonné que le public. L’auteur de la Dame aux Camélias voit en vérité bien des choses dans cette œuvre charmante écrite sans prétention aucune, destinée à devenir après un siècle le thème de toute sorte de variations morales et philosophiques. M. Alexandre Dumas est certainement un esprit habile à construire un drame, un talent plein de nerf et de verve, hardi et industrieux, chercheur, fouilleur intrépide, même jusqu’au mauvais goût. Dans sa préface de Manon Lescaut, comme dans tout ce qu’il fait, il y a des passages d’une vivacité un peu âpre et quelquefois presque éloquente. Seulement, voilà le malheur, l’auteur du Demi-Monde n’y prend pas garde, il en vient à une pleine satisfaction de lui-même qui ne laisse pas d’être singulière ; il tourne au professeur ou plutôt au pédagogue. Il sermonne, il prêche, il fait du haut de sa chaire de la morale et de la philosophie comme il peut, en homme d’esprit assurément, mais avec un goût douteux et surtout avec un sentiment artificiel et confus des choses qu’il déguise à peine sous son infaillibilité d’oracle. Il distribue des leçons à tout le monde, à la société, aux bourgeois, aux millionnaires, aux pauvres, aux courtisanes, à ceux que certaines peintures « gênent » ou « choquent, » et on dit même que le jour de sa réception il doit faire la leçon à l’Académie. Ce sera sûrement une joute intéressante entre gens d’esprit comme M. Alexandre Dumas et M. d’Haussonville, qui est homme de ressource autant que de bonne compagnie. La fête sera complète, et l’auteur de la Dame aux Camélias sera couronné par l’ombre de M. de Montyon comme moraliste ! Puisse donc l’année nouvelle être favorable aux lettres en excitant aux belles œuvres, et à la politique en maintenant la paix parmi les peuples. Pour l’instant, ce n’est point par la passion du mouvement que l’Europe semble emportée. L’Europe se repose un peu partout, à Londres et à Saint-Pétersbourg, à Vienne comme à Rome, à Bruxelles et à La Haye. On fête Noël et la nouvelle année. Tout ce qu’il y a d’animation, d’intérêt et de bruit se concentre à Berlin, où les émotions du procès d’Arnim se mêlent aux émotions des scènes parlementaires et où