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renseignemens qui ont leur prix. Le titre seul est déjà un indice et une révélation : Pensées d’août, c’est-à-dire les pensées qu’éveille dans l’âme cette époque de l’année où la nature n’est pas encore atteinte du mal de l’automne, mais où quelques feuilles trop tôt flétries révèlent cependant les premiers symptômes du déclin, et peut-être aussi les pensées que la fuite insensible de la jeunesse fait naître chez l’homme dont le regard aperçoit déjà derrière lui plus de la moitié de sa vie. Ce sont ces sentimens que Sainte-Beuve a consignés parfois avec un certain bonheur d’expression dans quelques pièces datées des lieux mêmes où s’écoulait ce qu’il a appelé son paisible exil, et qui ont été ajoutées à une édition postérieure des Pensées d’août. Ces vers, écrits dans une phase d’apaisement et de tristesse, montrent cependant quels progrès rapides le doute faisait dans son esprit. Vers la fin de son séjour à Lausanne, les, croyances de Sainte-Beuve ne tenaient plus qu’à un fil, et ce fil fut rompu par le départ. Dès qu’il fut sorti de l’atmosphère paisible et un peu factice que créait autour de lui le milieu sévère de Lausanne, le dernier rayon de lumière chrétienne s’éteignit dans son âme pour ne plus se rallumer. Ce fut en sceptique et presqu’en incrédule qu’il entreprit, avant de reprendre à Paris le train de sa vie accoutumée, ce voyage classique de Rome et d’Italie, qu’à l’époque des Consolations il eût appelé un pèlerinage. De ce voyage, il ne subsiste dans l’œuvre de Sainte-Beuve que peu de traces : quelques notes éparses jetées à la fin d’un de ses volumes de Portraits littéraires. Il n’en a évoqué que très rarement le souvenir, et il ne parait avoir éprouvé à la contemplation de ces merveilles de l’homme et de la nature aucune de ces impressions durables qui font date dans la vie intellectuelle d’un homme. J’avais été souvent étonné de cette tiédeur d’un esprit aussi vivace que celui de Sainte-Beuve jusqu’au jour où une étude approfondie de sa vie intime, quelques renseignemens recueillis de première main sur les circonstances qui l’avaient déterminé à s’éloigner de Paris, enfin les confidences discrètes de ses poésies m’ont éclairé. On commet souvent à l’entrée de la vie cette erreur de chercher dans les voyages autre chose qu’une des occupations les plus variées, les plus nobles, les plus utiles de l’esprit, et de leur demander des consolations pour quelque grande douleur, un remède pour quelque secrète blessure. Lorsque les facultés de l’âme sont absorbées par une vive souffrance intérieure, celles de l’esprit se trouvent en quelque sorte comme engourdies. Les yeux voient mal ce qu’ils regardent, et tous les aspects de la nature nous apparaissent comme au travers d’un voile de gaze noire. Les années s’écoulent, la blessure se ferme, l’âme reprend possession d’elle-même, et l’on regrette alors les jouissances