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comme un flot trop contenu, et une première gerbe de minarets nous annonce la ville, dont le tracé trop savant de la nouvelle route ne nous a pas permis d’avoir le panorama d’ensemble. Cette entrée de Damas ne ressemble à rien : des douanes, des mosquées, des casernes bariolées de larges raies bleues et blanches, puis un fouillis de misérables masures en torchis et en pisé ; nous nous y perdons quelques minutes, nous entrons en nous courbant sous une petite porte, pratiquée cauteleusement comme une poterne de citadelle, et nous nous trouvons dans la cour de la locandah, pavée de marbre blanc et noir, ombragée par des citronniers pliant sous leurs fruits et rafraîchie par une source vive reçue dans une large vasque.

Une de nos premières excursions a été l’ascension de la colline qui domine le faubourg nord-ouest de Salahiyeh, par où arrivait l’ancienne route, et d’où l’on a la vue générale et trompeuse de la ville. De là l’effet est féerique : il n’en faudrait jamais descendre. Damas, avec son faubourg allongé du Meïdan, qui lui prête la forme d’une masse d’armes, apparaît comme une blanche tache de lait au centre de sa verte oasis, de ses forêts d’abricotiers et de peupliers. Les coupoles de la grande mosquée dessinent un renflement au cœur de la ville ; sur tous les points, des minarets partent comme des flèches du milieu des toits en terrasse, dont le crépi de chaux donne à la cité arabe, vue d’en haut, ce ton d’uniforme blancheur ; mais le trait, incomparable en Syrie, de ce paysage, c’est la zone opaque de verdure, de deux à trois lieues de largeur, qui du côté des montagnes enserre la ville à l’étouffer et de l’autre vient expirer à la limite du désert. Ce vaste échiquier de jardins, séparés par des murs de clôture, de petits chemins et par les mille canaux du Barada, qui y portent avec leurs eaux murmurantes la fertilité et la vie, tout ombreux de platanes, de peupliers, de saules, de cyprès, d’arbres fruitiers, meurt brusquement là où les eaux lui manquent : la stérilité et la désolation ressaisissent la plaine comme leur proie. A droite, les neiges de l’Hermon, au sud-ouest les sommets bleuâtres du Hauran et du Ledjâh, au nord les contre-forts de l’Anti-Liban courant dans la direction de Palmyre, en face de nous, l’étendue, plate, vague, nue, affirmée à peine par quelques ondulations de terrain : c’est le désert. Là devant, à quarante jours de marche, se trouve Bagdad. O féerie des souvenirs ! prestige de l’imagination ! je ne sais quoi fait battre le cœur d’un fou désir à ce nom qui évoque les merveilleuses histoires contées par le bon M. Galland à notre enfance songeuse, et cependant Bagdad n’est plus qu’une misérable bourgade, cent fois plus misérable que Damas.

C’est pourtant difficile. Un amas de maisons de boue et de paille