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sauver de la colère des prêtres. Le festin finit mal ; le Sybarite, qui a laissé sa raison au fond des coupes, parle à Rhodope comme si elle était encore l’esclave de Xanthos. Aristomachos, le Spartiate à la jambe de bois, venge à coups de poing l’honneur de la vieille hétaïre. Le jour paraissait quand celle-ci se glissa comme une ombre dans la chambre virginale où dort sa petite-fille. Ici un fin pastel qu’il faut laisser dans l’œuvre d’Ebers ; le tableau a d’ailleurs été souvent fait dans l’école romantique : c’est « le sommeil de l’innocence. » Rhodope sanglote en silence au souvenir de l’outrage, et, avec un rire amer : « Je vois bien, dit-elle, qu’aucun dieu ne saurait effacer le passé d’un mortel. » Cependant elle paraît déjà connaître la fameuse théorie en vertu de laquelle les grandes pécheresses se refont, dans les larmes ou dans l’amour, une virginité ! Elle affirme à Phanès que le but de sa vie (qui s’en serait douté ?) est de défendre la liberté des Hellènes sur les bords du Nil. Il faut savoir aussi que Rhodope a entendu Pythagore durant son séjour en Égypte ; elle goûte fort ses préceptes, sa doctrine de l’harmonie de l’univers et de l’âme, et répète à tout propos ce qu’elle croit être la parole du « maître. »

Quelques jours plus tard, une foule d’Égyptiens de tout âge et de tout état se pressait sur la grève du port de Sais. Les hautes maisons de la ville, bâties en légères briques du Nil, avec leurs plates-formes et leurs balustrades en bois peint, étaient désertes. Des soldats et des marchands aux blancs vêtemens, de robustes esclaves vêtus de la schenti, des enfans nus, des femmes, couraient sans prendre garde aux longs bâtons des gens, de police. Les prêtres aux crânes luisans, aux robes de fin éclatantes, entouraient leurs pontifes, qui portaient de belles plumes d’autruche, de précieuses amulettes de saphir suspendues à une chaîne d’or. Le prince héritier, Psammétik, ayant à ses côtés les chefs de l’armée égyptienne et les grands dignitaires de la cour, descendait vers la mer. Des fanfares sonnèrent quand les vaisseaux des envoyés du roi de Perse abordèrent. D’abord on vit paraître un jeune homme aux yeux bleus, aux cheveux blonds, dont la tiare luisait des feux d’une grande étoile de diamant : c’était Bartja[1], le frère de Cambyse ; puis venaient Darius, fils d’Hystaspe, et plusieurs autres Achémé-nides, enfin Grésus, le vieux roi détrôné de Lydie, le vaincu de Cyrus.

C’est naturellement avec ce vieillard que le pharaon Amasis s’entretient le plus volontiers. Si Crésus se rappelle les discours de Solon, Amasis sait par cœur les vers dorés de Pythagore. Assis à

  1. Bartja est le nom que les inscriptions donnent à Smerdis.