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assurément que son âme ne fût animée d’aucune passion. Ce ne serait pas un grand historien, s’il n’avait été qu’un indifférent. On sait qu’au contraire il éprouve les admirations les plus vives, qu’il ne nous intéresse et ne nous émeut que parce qu’il s’est d’abord ému lui-même ; mais le genre d’intérêt qu’il prend aux événemens dont il fait l’histoire n’est pas tout à fait celui que nous y mettrions nous-mêmes. Le motif qui arma deux grandes nations et donna lieu à cent ans de guerre ne le touche pas. Il ne s’est jamais demandé lequel des deux peuples avait le droit pour lui ; c’est à peine s’il dit un mot de la fameuse loi salique qui fut l’occasion du débat : « Après la mort du dernier roi Charles, les douze pairs et les barons de France ne donnèrent point le royaume à sa sœur, qui était reine d’Angleterre, parce qu’ils voulaient dire et maintenir, et encore aujourd’hui le maintiennent, que le royaume de France est bien trop noble pour aller et descendre à femelle, par conséquent à fils de femelle. » Voilà tout : ont-ils tort ou raison de le prétendre, il se garde bien de nous le dire, il ne paraît pas tenir à le savoir, et s’empresse de nous raconter les batailles qui furent les suites de leur décision.

Une fois qu’il s’est jeté au milieu des combats et qu’il en décrit les incidens, sa passion se réveille ; il s’y met aussitôt tout entier, et l’on voit bien que c’est uniquement pour les récits de ce genre que son ouvrage est fait. Froissart ne se préoccupe guère de la religion, il ne paraît pas savoir ce que c’est que la patrie. « Il n’a qu’un idéal, dit M. Luce, qui est l’unique objet de son culte et lui dicte ses jugemens : cet idéal, moins étroit que le patriotisme, presque aussi ardent que la foi religieuse, c’est l’esprit chevaleresque. » Son livre est consacré à la gloire des chevaliers de son temps ; il nous dit, en le commençant, qu’il n’a pas d’autre dessein que de sauver leurs exploits de l’oubli. « Afin que les grandes merveilles et les beaux faits d’armes qui sont advenus par les grandes guerres de France et d’Angleterre et des royaumes voisins soient notablement registres et au temps présent et à venir vus et connus, je me veux mettre en souci de les ordonner et de les écrire. » Il espère bien que la peine qu’il se donne ne sera pas perdue. Ces exploits qu’il retrace pourront en faire naître d’autres ; « les belles actions, les dures rencontres, les forts assauts, les fières batailles, seront matière et exemple pour encourager les jeunes gens, car la mémoire des bons et le souvenir des preux attisent et enflamment les cœurs. » Ce sont ces souvenirs qu’il veut fidèlement conserver. Il se propose de raconter « les hauts faits des bons, de quelque pays qu’ils soient, sans les colorer plus l’un que l’autre ; » il a fait tous ses efforts pour les bien connaître, il promet de les dire comme il les sait, « car de