Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/707

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’écrie aussitôt M. Lucien Brun, nullement, elle n’est pas impossible, le roi est là, tout est prêt ; « il ne manque, ajoute-t-il assez naïvement, que le concours de vos volontés. » Oui en effet, c’est là ce qui manque à la restauration royale des légitimistes, il manque le concours de la France, et de plus M. Lucien Brun oublie que, s’il y a eu un jour où la monarchie a pu être rétablie, où la tentative a pu paraître avoir quelque chance de succès, c’est le « roi » qui a manqué. Il a manqué, il s’est dérobé dans l’orgueil du prince prétendant imposer au pays des conditions blessantes pour sa dignité. La royauté de M. le comte de Chambord s’est évanouie encore une fois avant d’être restaurée. A qui la faute ? qui donc a écrit la lettre du 27 octobre 1873 devant laquelle tout a disparu ? Les légitimistes ne l’ignorent pas, et leur dernière tactique, pour essayer de réserver un avenir sur lequel ils ne peuvent guère compter, est de laisser tout en suspens, de ne rien faire et de tout empêcher.

Il y a quinze mois, lorsqu’on travaillait à une restauration, le provisoire était mortel pour la France, il fallait en finir au plus vite ; maintenant il paraît que c’est l’idéal des régimes, que c’est dans tous les cas assez bon pour des gens qui refusent de reconnaître le roi. Avec la monarchie, nul doute qu’une seconde chambre ne parût une institution utile ; aujourd’hui M. Lucien Brun raille fort lestement le sénat qu’on veut créer. « C’est prématuré, » assure-t-il, tout est prématuré, il faut attendre, et M. Lucien Brun paraît profondément étonné qu’on prenne au sérieux cette loi du 20 novembre, qu’il a votée, il est vrai, mais qui n’était pour lui qu’un moyen de gagner du temps, de se réserver les bénéfices éventuels d’un héritage toujours ouvert. En d’autres termes, la politique des légitimistes consiste tout simplement à placer le pays entre la ruine par un provisoire indéfini et la soumission repentante à la royauté de leur choix ; elle se résume dans un mot : M. le comte de Chambord, ou rien ! Sans parler du reste, les légitimistes sont-ils bien sûrs d’être les serviteurs prévoyans de leur principe et de ne pas travailler pour une autre cause ? M. de Carayon-Latour traite l’empire durement dans son langage, et en définitive il fait ses affaires en repoussant toute organisation constitutionnelle ; il croit réserver les droits de la royauté, il donne à l’empire les seules chances qu’il puisse avoir, les chances de l’inconnu, car enfin, depuis plus d’un an, il est certain que, s’il y a un parti qui ait tiré avantage du provisoire, ce n’est pas le parti légitimiste, qui compte quelques centaines de voix dans les scrutins où les candidats bonapartistes sont élus. Franchement est-ce une œuvre d’hommes sérieux, qui se disent conservateurs, de proposer le maintien indéfini d’une situation où pendant six ans peuvent se produire toutes les compétitions, toutes les espérances, toutes les revendications agitatrices ? Est-ce là une solution digne d’occuper un instant une assemblée ? N’est-ce point au contraire avouer tout haut qu’on place un intérêt de parti au-dessus des intérêts les plus pressans du pays ? Les légitimistes