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ter en voiture la Niçoise et l’enfant, et, comme je lui tenais la portière : — Je monte sur le siège, dit-il. Venez-y avec moi. — Puis, s’adressant au cocher : — Donne-moi les rênes, Joseph ; je veux conduire. Monte dans la voiture ; je veux être aujourd’hui ton cocher.

— Monsieur le comte, dit Joseph, le cheval est terrible. Il n’a pas travaillé depuis huit jours, et le chemin est très mauvais aujourd’hui.

— Eh bien ! c’est pour ça, dit le comte en montant lestement sur le siège. Tu oublies, mon garçon, que c’est moi qui t’ai appris ton métier.

Joseph, soit respect, soit crainte d’un accident, monta sur le siège de derrière. Le cheval se cabra furieusement, le comte le fouetta de même ; nous partîmes ventre à terre. J’étais très effrayé. M. de Flamarande était-il fou ? Voulait-il nous précipiter avec lui dans la Loire ?

Heureusement le hameau de Sévines était sur le chemin qui s’éloigne en droite ligne du fleuve, mais nous devions trouver par là un petit affluent probablement débordé aussi. Nous le franchîmes à gué sans accident, mais non sans terreur. Seul, M. le comte était impassible.

J’assistai comme témoin à la déclaration ; l’enfant reçut les noms de Louis-Gaston de Flamarande, et quand nous remontâmes sur le siège, M. le comte me dit : — Vous n’avez jamais conduit une voiture ?

— Quelquefois un cabriolet.

— Eh bien ! vous pouvez conduire ce coupé ; prenez les rênes. J’obéis ; cependant au passage du ruisseau je voulus les lui rendre.

— Non pas, dit-il, allez toujours, — et il se mit à cingler le cheval, qui franchit comme un trait ce gué couvert d’un mètre d’eau. Alors le comte reprenant les rênes : — C’est bien, dit-il, vous en savez assez ; vous prendrez demain soir cette voiture et ce cheval, c’est Zamore, vous le connaissez à présent. Il est capable de tout ; vous le conduirez toute la nuit sans vous arrêter, jusqu’à ce qu’il tombe. Il sera perdu, ne vous en inquiétez pas et prenez la poste dès qu’il sera fourbu. Ne vous arrêtez qu’au terme de votre voyage.

— Et si l’enfant était malade en route ?

— Ne vous arrêtez pas.

— Et s’il mourait ?

— Ces enfans-là ne meurent jamais. À propos, êtes-vous capable de changer votre figure, de vous coller des favoris, de mettre une perruque ? Entrez ce soir dans le grenier numéro 7, dont voici la clé. On a joué ici la comédie avant mon mariage. J’ai fait transporter là tous les accessoires. Vous trouverez ce qu’il vous faut.