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tout. Ce qui est vrai, c’est que chez une nation aussi fortement organisée que l’Égypte, où les coutumes des ancêtres dominaient toute la vie politique et sociale, si bien que l’individu comptait, à peine, la hiérarchie civile et domestique retenait mieux et plus, longtemps chacun dans sa condition native. « Sorti du sein de sa mère, lit-on dans un papyrus, l’homme se courbe devant son supérieur : le conscrit sert le capitaine, le cadet le commandant, le goujat le cultivateur. »

De bonne heure on mettait l’enfant en discipline. Tel papyrus nous a conservé un trait de mœurs d’une naïveté touchante qu’on croirait emprunté à nos écoles primaires. « Et lorsque j’ai dit : Allons, il faut le mettre à l’école, lorsque tu apprenais les écritures, chaque jour ta mère était chez ton maître, apportant les pains et les boissons de la maison. » A côté des écoles privées, il y avait sans doute de hautes écoles ; on y apprenait les élémens des lettres, l’écriture égyptienne, les règles de la grammaire et de l’orthographe, l’art de cadencer le langage, la symétrie du style et des idées, puis la géométrie, l’arithmétique, l’astronomie, la médecine, l’exégèse des saintes écritures. On possède des monumens littéraires et scientifiques qui ne permettent point de douter de la réalité d’une telle culture. Il y avait, comme au moyen âge, une sorte de trivium et de quadrivium, un cours d’étude des sept arts qu’il fallait avoir parcouru pour être maître et docteur. Et de fait rien ne ressemble tant à un clerc thomiste ou scotiste qu’un scribe bavard et raisonneur comme au moyen âge encore, la discipline corporelle était au moins aussi forte que la discipline intellectuelle : le bâton, « ce don du ciel, » disent les fellahs, était un des plus puissans argumens des maîtres. Arrivé à l’âge d’homme, l’étudiant avait « ses os rompus comme ceux d’un âne. » — « Les oreilles d’un jeune homme sont sur son dos, » disaient les sages. « O scribe, point de paresse, ou tu seras battu vertement… Il y a un dos chez le jeune hommes il écoute quand il est frappé ! » Et ailleurs, à la fin d’une lettre : « Tu es pour moi comme un âne qu’on bâtonne vertement chaque jour ; tu es pour moi comme un nègre stupide qu’on amène en tribut. On fait nicher le vautour ; on apprend à voler à l’épervier. Je ferai un homme de toi, méchant garçon, sache-le bien[1]. »

En dépit de ces sévérités, les scribes avaient volontiers l’esprit. vif et railleur, la verve ironique et moqueuse[2]. Le scribe accroupi » du musée égyptien du Louvre, de la ve ou vie dynastie, témoigne de cette humeur caustique. Le peuple égyptien lui-même, si opprimé.

  1. G. Maspero, Du Genre épistolaire chez les anciens Égyptiens de l’époque pharaonique, p. 74-75 ; Paris 1873.
  2. Chabas, Mélanges égyptologiques, 3° série, t. II, p. 77.