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sur des tabourets ; l’un et l’autre a quatre pièces sur l’échiquier et en tient une cinquième dans sa patte.

Que l’épouse de Potiphar ait souvent rencontré Joseph, l’intendant des domaines de son mari, qu’elle ait jeté les yeux sur cet esclave à la taille souple et élancée, beau comme sa mère Rachel, et que, séduite par la grâce morbide du jeune Hébreu, elle lui ait tenu le même langage que la femme d’Anepû à Bataou, rien de plus vraisemblable, de plus conforme à ce que nous a déjà montré le roman des Deux Frères. « Repose avec moi ! » dit la femme. Joseph bondit, lui aussi, comme une panthère du midi, et s’écrie : « Vois ! mon maître ne me demande compte de rien dans la maison, et toutes ses affaires, il les a remises, en mes mains ; il n’est pas plus grand que moi dans cette maison, et il ne m’a rien défendu, sinon toi, parce que tu es sa femme, et comment puis-je commettre un si grand mal ? » Il veut fuir, elle le saisit, lui jette ses bras au cou comme a fait la femme du fellah. Joseph s’est échappé, abandonnant sa robe, — cette fameuse robe qui a déjà causé la jalousie de ses frères, l’a fait vendre comme esclave et fait passer pour mort. L’Égyptienne tremble de colère, d’effroi aussi, à la pensée que son mari peut tout apprendre ; elle feint d’avoir été victime de la violence de « l’Hébreu, » appelle ses gens, montre les vêtemens de l’esclave ; même scène quand Potiphar revient à la maison. L’Égyptien pourtant ne tue pas son esclave : en raison de la nature du crime, il avait légalement le droit de lui imposer le sacrifice sanglant que Bataou s’inflige lui-même sur la rive du fleuve rempli de crocodiles ; à tout le moins pouvait-il lui faire donner mille coups de bâton pour adultère (Diod., I, 78) ; mais les esclaves n’étaient guère traités plus durement en Égypte que chez les Hébreux. Dans les inscriptions des hypogées, les défunts se vantent souvent d’avoir traité les esclaves comme les maîtres ; puis, même en Égypte, terre classique de la bastonnade, les exécuteurs seraient morts à la peine, s’il eût fallu bâtonner tous les gens convaincus d’adultère. Il est peu de pays où les femmes soient accusées d’avoir si souvent violé la foi conjugale. Qui n’a lu dans Hérodote (II, 111) la piquante légende de ce pharaon, fils de Sésostris, devenu aveugle pour avoir lancé une javeline contre le Nil ? Sa guérison, annoncée par l’oracle, dépendait tout à fait de la rencontre d’une épouse fidèle ; il commença naturellement par la sienne, mais n’y vit pas davantage ; il ne fut pas plus heureux avec une multitude d’autres. A la fin, il les rassembla toutes dans une ville, hormis celle qui lui avait rendu la vue, et les brûla vives. Ce n’est qu’un conte, mais, rapproché de certain verset relatif à l’adultère dans le Livre des morts, il est significatif. Dans le plus ancien livre du monde, le papyrus Prisse,