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la femme est appelée « un amas de toute sorte d’iniquités, un sac de toute espèce de ruses et de mensonges ; » au papyrus magique Harris[1], la femme est énumérée parmi les animaux qui se nourrissent de chair et s’abreuvent de sang, tigres, léopards, lionnes ; on le voit, le Livre des Proverbes hébreux et l’Ecclésiastique étaient dépassés avant même que de naître.

Il ne faudrait pas croire que les Égyptiennes fussent reléguées dans l’ombre d’un harem comme les femmes turques ; elles allaient et venaient par la ville ou aux champs, sans voile, assistaient aux festins et aux concerts avec les hommes ; bref, elles étaient presque aussi libres que le sont les femmes des peuples de l’Europe moderne. Associée à la dignité de son mari pendant la vie, l’épouse légitime est assise à ses côtés sur les monumens funéraires. Dès l’ancien empire, la femme a dans la famille et dans la société une sorte de prééminence ; elle a le titre de « maîtresse de maison, » transmet à ses enfans les droits qu’elle tient de sa naissance, et, dans certaines généalogies, les fils portent le nom de la mère à l’exclusion de celui du père. Sous la IIe dynastie, le roi Baï-Neterou reconnaît aux femmes le droit de succession au trône ; ce ne sont pas seulement les fils, ce sont les filles du pharaon qui règnent sur la haute et la Basse-Égypte, qui jouissent des honneurs des fils du soleil et sont divinisées après leur mort. Tous les fondateurs de dynasties nouvelles, les grands-prêtres d’Ammon, les princes saïtes, n’ont rien de plus à cœur que de s’allier à des princesses royales, car c’était le sang même des dieux qui coulait dans leurs veines. Afin de légitimer la domination de Cambyse, la légende lui donna pour mère une fille d’Apriès.

Toutefois, pour être honorée dans la société, vénérée dans la famille, l’Égyptienne n’en était pas moins femme ; la grande liberté que lui laissaient les mœurs l’induisait souvent à pécher, la livrait sans défense, molle à la tentation. Les charmantes peintures des hypogées témoignent de leur goût pour la parure, pour toutes les élégances raffinées qui font de la vie une fête. La femme d’Anepû elle-même, une paysanne, ne passait-elle pas les longues heures de la matinée à se peigner ? C’était bien autre chose chez les riches matrones de Thèbes et de Memphis, quand les esclaves entraient dans le gynécée les mains chargées de fines tuniques brodées aux couleurs éclatantes, de boîtes à parfums, d’écrins remplis de colliers et de bracelets, de miroirs de bronze et de précieux coffrets aux hiéroglyphes, nous dirions aux armes de la maîtresse de maison[2]

  1. Voyez la nouvelle traduction que vient d’en donner M. Chabas, après sa publication de 1860, dans ses Mélanges égyptologiques, 3e série, t. II.
  2. Champollion, Monum., t. III, pi. 397 ; Prisse d’Avennes, Monumens égyptiens, pl. 45.