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par les siens, il aperçoit les fautes de ses adversaires et les fait entrer dans ses calculs. Deux mois, trois cents lieues et plus de 200,000 ennemis séparaient la pensée du résultat : tout se trouva exact. « S’il y eut, dit Ségur, quelques différences de temps entre Munich et Vienne, elles furent à notre avantage. » Il ajoute que bien des fois, et bien des années après, Daru lui avait redit les détails de cette matinée du 13 août 1805. Daru était accoutumé aux inspirations de son chef ; ce qui le frappa de stupeur en cette circonstance, c’est que l’empereur eût abandonné si vite ses immenses apprêts, ses espérances grandioses, et que, secouant le poids si lourd de ses regrets, il se fût élancé d’un seul bond dans un autre ordre d’idées, y portant la même puissance et la même précision du génie.

Nous n’avons pas à raconter ici la prodigieuse manœuvre qui de Strasbourg et des bords du Rhin, tournant, dépassant, enveloppant l’armée du maréchal Mack, la força de capituler dans Ulm. On ne refait pas les récits de M. Thiers, à moins d’avoir, comme M. de Ségur, des détails personnels à y ajouter. C’est là tout simplement ce que nous cherchons dans ces Mémoires. Voici un de ces détails qui ont leur prix à côté des événemens les plus glorieux, car ils confirment ce qu’en a dit l’histoire. C’était le 1er octobre 1805. L’empereur était encore à Strasbourg, pivot de sa grande manœuvre, et l’impératrice s’y trouvait avec lui. Ségur, chargé d’une mission auprès de l’électeur de Wurtemberg, avait reçu l’ordre de partir. Quand il alla prendre congé de l’impératrice : « Emportez mes vœux, lui dit-elle, soyez aussi heureux que vont l’être l’armée et la France ! » Très confiant dans le génie de l’empereur, mais étonné pourtant d’une assertion si positive, Ségur laisse voir un peu de surprise. L’impératrice s’en aperçoit et reprend aussitôt : « Oh ! n’en doutez pas. L’empereur vient de m’annoncer que dans huit jours l’armée ennemie entière serait faite prisonnière infailliblement. » En effet, huit jours plus tard, le 8 octobre, Mack était complètement tourné. Tandis que Mack, en face de Strasbourg et du Haut-Rhin, gardait fièrement les défilés de la Forêt-Noire, il avait laissé passer sur sa droite une armée de 200,000 hommes qui allait le couper des Russes et de l’Autriche.

Lorsque l’impératrice Joséphine annonçait ainsi à Ségur que l’armée autrichienne allait être infailliblement prisonnière, Ségur ne se doutait pas qu’il serait chargé par l’empereur d’aller trouver le maréchal Mack et de régler avec lui les conditions de la capitulation. C’était le 16 octobre 1805. Après une série de manœuvres et de combats qui avaient duré une quinzaine de jours, tous les corps autrichiens s’étaient rabattus pêle-mêle dans Ulm, cernés par nos troupes, qui occupaient les hauteurs voisines. Voici ce que Ségur