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fatigues, lui permet d’aller se reposer. Voilà Ségur dans sa cellule, mais à peine est-il déshabillé à demi que l’empereur l’envoie chercher de nouveau. Il faut repartir pour Ulm ; il accordera les huit jours à la condition qu’ils dateront du 15 octobre, premier jour du blocus, et, en cas d’un refus obstiné, il donnera un jour de plus, c’est-à-dire que les huit jours dateront du 16. Ségur rentre dans Ulm vers midi. Cette fois il y trouve Mack à deux pas de la porte de la ville, au rez-de-chaussée d’un misérable cabaret, et il lui remet l’ultimatum de l’empereur. La discussion recommence toujours opiniâtre, toujours tenace, tellement que Ségur, sachant l’empereur impatient d’en finir, se décide à faire sa dernière concession. Suffirait-elle ? A voir la ténacité du vieillard, il lui est permis de craindre que tout ne soit pas encore terminé. Il se trompe ; dès que les huit jours pleins sont accordés, la scène change immédiatement, et le vieux maréchal, si inflexible tout à l’heure dans son désespoir, laisse éclater une satisfaction à la fois puérile et douloureuse. C’est l’effet qu’elle produisit sur le négociateur français. Huit jours ! le maréchal s’était promis d’obtenir au moins ce répit pour les armes autrichiennes. Huit jours ! c’était son point d’honneur. Avec cette concession de huit jours, il croyait avoir sauvé le drapeau. « Monsieur de Ségur, disait-il au jeune aide-de-camp, mon cher monsieur de Ségur, je tiens à votre estime, je tiens à l’opinion que vous aurez de moi. lisez l’écrit que j’avais signé d’avance, vous verrez si j’étais décidé. » Et en parlant ainsi dans le transport d’une joie navrante, il déployait un papier sur lequel Ségur lisait ces mots : « huit jours ou la mort ! » signé : Mack. Quelques heures après, Napoléon ayant tout approuvé, le maréchal Berthier se rendait à Ulm pour mettre sa signature, au nom de l’empereur, à côté de celle du maréchal autrichien. Voilà comment fut conclue le 17 octobre 1805 la capitulation d’Ulm.

Cette grande journée ne mettait pas fin à la campagne ; d’Ulm à Austerlitz, rude et sanglant est le chemin. Ségur a vu de près toutes les péripéties de la lutte. A Munich, à Gratz, à Vienne, il est le modèle de l’officier d’état-major, toujours prêt aux missions les plus périlleuses. Un jour Napoléon lui dit : « Partez à l’instant pour Gratz et remettez à Marmont cette dépêche… L’ennemi doit être entre Neukirch et Brugg sur votre passage ; traversez-le, et s’il vous prend, imaginez quelque subterfuge ; dites que vous portez la nouvelle d’un armistice. Enfin tirez-vous de là. Surtout ne laissez pas prendre les instructions que je vous confie. » Et Ségur part, jurant qu’il passera, promettant du moins qu’en tout cas on ne lui prendra pas ses dépêches. Nulle fatigue ne l’arrêtait. Une nuit, à bout de forces, mais allant toujours, comme il traversait un village occupé par nos troupes, il lui arriva de tomber dans la rue sans connaissance. Il