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difficultés que rencontrerait des son début toute tentative d’agression du côté du nord contre les possessions britanniques de l’Inde, et il faut laisser à celui qui fait et défait les empires le soin de prévoir et de prévenir les dangers sérieux qui dans l’avenir pourraient menacer les domaines asiatiques de la reine Victoria.

Devant cette magnifique annexe de 200 millions de sujets, dont la sagesse de ses hommes d’état et le courage de ses soldats ont doté l’heureuse Angleterre, la pensée stupéfaite remonte involontairement le cycle des âges, et les insondables décrets qui règlent le sort des empires lui apparaissent dans toute leur vertigineuse, incohérence. Qu’était la petite île de la Mer du Nord, en apparence peu favorisée par la nature et aujourd’hui maîtresse sans rivaux du cap Comorin au pied de l’Himalaya, dans ces siècles reculés où des royaumes arrivés déjà à un haut degré de civilisation fleurissaient sur les bords du Gange et de la Jamouna ? Il y cent ans à peine, d’humbles commis occupés exclusivement des choses du commerce représentaient seuls le conquérant européen sur le théâtre de ses prochaines victoires !

Les armes, la diplomatie, souvent même la duplicité, ont couronné aujourd’hui l’édifice de la puissance anglaise dans l’Inde. Le sceptre du Grand-Mogol a passé tout entier dans les mains de la souveraine de la Grande-Bretagne, mais des hommes d’état nourris à la forte école des libertés modernes ont complété l’œuvre de la force, de la politique, de l’astuce ou du hasard. L’inviolabilité de la personne et de la propriété, l’égalité devant la loi, une tolérance religieuse absolue, règnent aussi bien aujourd’hui dans l’Inde qu’en Angleterre. C’est là ce qui distingue éminemment l’état de choses présent de l’état de choses passé, le règne de sa majesté la reine Victoria du règne de Timour ou d’Aureng-Zeb. Grand et noble spectacle donné par le conquérant européen au-delà des mers, argument sans réplique à opposer à ces adorateurs du sabre qui proclament l’impuissance et la stérilité des gouvernemens libres ! Les annales du despotisme n’ont pas seules le privilège des grandes épopées militaires qui renouvellent la face du globe. Les noms des deux Lawrence, d’Outram, de Nicholson, les hauts faits des glorieuses bandes de Delhi et de Lucknow, 4 milliards de francs dépensés dans l’Inde en quinze ans en travaux de toute sorte, routes, chemins de fer, canaux, disent assez que les grands hommes et les grandes choses ne font pas défaut à l’histoire des peuples favorisés qui ont su jeter l’ancre dans le port béni de la monarchie héréditaire constitutionnelle.

E. de Valbezen.