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Ceux qui ont visité en Angleterre les écoles du dimanche, les écoles déguenillées ou ragged schools, et qui ont rencontré dans les rues de Londres les petits décrotteurs embrigadés, sont forcés de reconnaître que les États-Unis ont fait mieux que l’Angleterre en laissant les enfans des rues entièrement libres le jour dans l’exercice de leur métier, mais en leur offrant chaque soir un abri, un repas, une classe, et en les habituant à payer une partie de ces services, car toute aumône dégrade celui qui la reçoit. Quelle ville pourrait opposer à New-York une fondation comme celle que nous venons de faire connaître ? Où trouver ces écoles industrielles, ces logis et écoles de nuit et ces convois de jeunes émigrans, tout cela spontanément institué dans le principe par la seule initiative de quelques âmes généreuses, qui ont bien voulu se rappeler que l’homme se doit à l’homme, qu’il est solidaire de son semblable ?

Après les tâtonnemens, les essais incertains du début, que tout semblait devoir contrarier et annihiler pour toujours, l’entreprise a réussi dans tous ses détails au-delà de toute espérance. Le principal mérite en revient à ses sympathiques créateurs. Venir en aide à l’enfance abandonnée, vicieuse, telle a été dès le premier jour la devise qu’ils ont inscrite sur leur drapeau. Ils n’y ont pas failli un instant. On aime à rappeler ces choses quand on se souvient que l’état est encore quelque peu en retard en Amérique dans toutes ces questions. Nous allons étonner bien des personnes en leur disant que dans l’état de New-York il n’existe encore aucune loi qui rende l’instruction obligatoire, même qui force les enfans à fréquenter les écoles une partie de la journée, aucune loi non plus qui règle le travail des enfans dans les manufactures, et qui prenne la défense de plus de 100,000 intéressans petits êtres inhumainement employés, surmenés dans les nombreuses usines du pays. Ce que les états de la Nouvelle-Angleterre ont si bien défini et réglé depuis longtemps, l’état de New-York, qui marche si brillamment à la tête des trente-sept étoiles de l’Union, n’a pas encore su l’établir. Les meetings, les agitations n’y ont rien fait ; quelques politiciens, quelques membres intéressés de la législature ont toujours réussi à faire rejeter les bills présentés dans ce sens. En attendant que ces bills soient enfin adoptés, inscrits dans la loi, il faut glorifier les bons citoyens qui ont pris sur eux-mêmes de protéger, de relever l’enfance jusqu’alors sans soutien, et de tendre une main paternelle à ces êtres infortunés obligés d’affronter tout seuls, sans armes, sans munitions, sans vivres, la dure bataille de la vie.


L. SIMONIN.