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Les déceptions et les dégoûts qu’ils ont éprouvés dans ces dernières années étaient bien propres à hâter leur repentir. Ce n’était pas tout de crier : Plus de Bourbons ! il fallait trouver à les remplacer ; c’est à quoi l’Espagne a travaillé sans relâche, mais sans succès. Depuis la révolution de septembre, elle a essayé de tous les régimes, de toutes les méthodes de gouvernement, de tous les expédiens politiques ; rien ne lui a réussi. Une royauté étrangère et démocratique a tristement avorté. La république fédérale qui lui a succédé n’a pas tardé à se discréditer par ses déplorables et dangereuses folies. En vain un tribun détrompé, homme d’un rare talent et d’un grand cœur, M. Castelar, tenta de réparer les fautes commises ; en vain, répudiant les utopies qu’il avait jadis professées avec trop de complaisance, il entreprit de démontrer par ses actes que le régime républicain était conciliable en Espagne avec la sécurité et la paix publiques, et il s’employa résolument à rétablir l’ordre dans l’administration, la discipline dans l’armée. La seule chance qu’eût M. Castelar de garder le pouvoir était de s’imposer à son parti. Optimiste de tempérament, il se flatta de ramener ou de désarmer par la puissance de sa parole des intransigeans incapables de transiger avec le bon sens. Ces doctrinaires et ces fous, également incorrigibles, s’entendirent pour le renverser, et l’Espagne allait retomber par leurs soins dans l’état de fièvre et d’anarchie d’où elle avait eu tant de peine à sortir. Elle ne.put se résigner à cette lamentable rechute. L’épée intervint, et le 3 janvier 1874 un coup de main militaire porta au pouvoir le maréchal Serrano, duc de La Torre.

C’est une singulière destinée que celle du maréchal Serrano. L’étoile sous laquelle il est né l’a voué à de brillantes aventures, qui finissent toujours mal. A plusieurs reprises dans sa vie éternellement militante, il a dû à la bienveillance du sort et des révolutions d’arriver au premier rang et de conquérir une situation qui dépassait de bien loin le rêve le plus hardi des ambitions communes ; mais il n’a jamais pu s’y maintenir. A peine a-t-il réussi, le bonheur alanguit son courage, le prive comme par un charme de toutes les ressources de son esprit. Contrairement au général Prim, dont les talens grandissaient avec sa fortune, il ne sait que faire de la sienne ; ce conspirateur audacieux et habile s’est montré d’ordinaire un médiocre dictateur. Deux fois il a été presque roi, le lendemain il n’était rien, et le surlendemain il conspirait de nouveau, toujours prêt à recommencer et ne paraissant jamais las des étranges vicissitudes de sa vie. Le 3 janvier 1874, il arrivait au pouvoir dans les circonstances les plus favorables. Les cortès révolutionnaires avaient été dissoutes avant d’avoir fait une constitution, et l’Espagne, fatiguée de toutes les crises qu’elle venait de traverser, encore épouvantée des dangers qu’elle avait courus, guérie de toutes ses illusions et se défiant de ses propres volontés, était en quête d’un homme qui se