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les ressources infinies, allait succomber par suite des compétitions de généraux. Les auteurs des deux révélations, Juifs passionnés, battent des mains par avance sur la ruine de leur ennemi. L’espérance d’un empire juif, succédant à l’empire romain, remplissait encore ces brûlantes âmes, que les effroyables massacres de l’an 70 n’avaient pas abattues. L’auteur de l’Apocalypse d’Esdras avait peut-être dans sa jeunesse combattu en Judée ; parfois il semble regretter de ne pas y avoir trouvé la mort. On sent que le feu n’est pas éteint, qu’il couve sous la cendre, et qu’avant d’abdiquer ses espérances Israël tentera encore plus d’une fois le sort.

Les scènes de désordre qui se succédaient de jour en jour dans l’empire ne donnaient du reste que trop raison au Pseudo-Esdras. Le règne du faible vieillard que tous les partis s’étaient trouvés d’accord pour mettre au pouvoir dans les heures de surprise qui suivirent la mort de Domitien semblait une agonie[1]. La timidité qu’on lui reprochait n’était que de la sagesse. Nerva sentait que l’armée regrettait toujours Domitien, et ne supportait qu’impatiemment la domination de l’élément civil. Les honnêtes gens étaient au pouvoir ; mais le règne des honnêtes gens, quand il n’est pas appuyé sur l’armée, est toujours faible. Un terrible incident révéla la profondeur du mal. Vers le 27 octobre de l’an 97, les prétoriens, ayant trouvé un chef dans Casperius Ælianus, viennent assiéger le palais, demandant à grands cris le châtiment de ceux qui avaient tué Domitien. Le tempérament un peu mou de Nerva n’était pas fait pour de pareilles scènes ; il s’offrit vertueusement à la mort, mais ne put empêcher le massacre de Parthenius et de ceux à qui il devait l’empire. Ce jour fut décisif et sauva la république. Nerva, en véritable sage, comprit qu’il devait s’associer un jeune capitaine dont l’énergie suppléât à ce qui lui manquait. Il avait des parens ; mais, uniquement attentif au bien de l’état, il chercha le plus digne. Le parti libéral possédait dans son sein un admirable homme de guerre, Trajan, qui commandait alors à Cologne ; Nerva le choisit. Ce grand acte de vertu politique assura la victoire des honnêtes gens, qui était restée toujours douteuse depuis la mort de Domitien. La vraie loi du césarisme, l’adoption, était trouvée. La soldatesque est refrénée. Suivant les lois de l’histoire, Septime Sévère, avec sa maxime détestable : « contente le soldat, moque-toi du reste, » allait succéder à Domitien. Grâce à Trajan, la fatalité est ajournée à un siècle. Le mal est vaincu, non pas pour mille ans, comme le croyait Jean, ni même pour quatre cents ans, comme le rêvait Pseudo-Esdras, mais pour cent ans, ce qui est beaucoup.

  1. « Regaum exile et tumultu plénum. » IV Esdr., XII, 2.