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Des jugemens chagrins de Scaliger, il n’y a donc qu’une phrase à retenir, et c’est elle qui résume le mieux les impressions qu’ont rapportées de leur trop court séjour en Hollande tous nos compatriotes. « Il y a de bonnes gens en ce pays, » disait, tout en maugréant, le vieil érudit, et c’est ce que nous pensions en serrant la main de ces hôtes d’un jour, si vite devenus pour nous comme de vieux amis. On s’est dit non pas adieu, mais au revoir, et maintenant que nous savons le chemin, il sera facile de tenir ces promesses; mais comment, mais pourquoi, avant que ces liens d’hospitalité ne fussent formés au cœur même de l’hiver, tous ces représentans de l’Europe savante ont-ils quitté leurs foyers, leurs travaux et leurs chaires pour venir, quelques-uns de très loin, de la Finlande ou du Portugal, passer quelques jours dans une petite ville de Hollande? Quels souvenirs les attiraient, à quelle pensée obéissaient-ils? C’est ce que l’on ne saurait comprendre sans remonter dans le passé, sans retracer rapidement l’histoire de cette ville et de cette université. Il y a trois siècles, les yeux de toute l’Europe ont été fixés, pendant plusieurs mois, sur les remparts, aujourd’hui démolis, qui entouraient alors cette cité et derrière lesquels les Hollandais défiaient l’effort des Espagnols. Nulle part l’homme n’a plus vaillamment combattu et plus courageusement souffert pour la patrie et la liberté que sur ce coin de terre; nulle part la conscience et l’esprit n’ont remporté sur la force un triomphe plus éclatant. Après cette crise, Leyde, par la fondation de son université, est devenue ce que l’une de ses gloires, le savant Meursius, appelait l’Athènes de la Hollande, Athenœ Batavœ[1]; mais son rôle ne s’est point borné à répandre l’instruction dans les Provinces-Unies ; son influence s’est étendue bien au-delà des limites de cet étroit territoire. L’Academia Lugduno-Batava, comme on disait alors, appela de l’étranger à siéger dans ses chaires les érudits, les professeurs les plus illustres; à peine constituée, elle attira sur ses bancs des étudians de tous pays. Elle devint ainsi, pour toute l’Europe protestante, avec Heidelberg et Genève, un des asiles de la liberté de penser. Les études de philologie et de critique y prirent plus d’importance que partout ailleurs, et elle a ainsi contribué, pour une très large part, à l’avènement de la science et des méthodes modernes.

  1. Joannis Meursi Athenœ Batavœ, sive de Urbe Leidensi et Academia virisque claris qui utramque ingenio suo atque scriptis illustrarunt, libri duo. Lugduni Batavorum, apud Andream Cloucquium et Elsevirios, 1625. Ce livre, mal composé, mais riche en renseignemens variés, comme tous les ouvrages de Meursius, est un de ceux qui nous ont le plus servi pour cette revue rétrospective.