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par tout son caractère, ne fut en plus étroit rapport avec le peuple qui le mit à sa tête, n’en représenta mieux la nature et le génie propre. En causant avec les Hollandais pendant les fêtes de Leyde, en les écoutant parler de religion et de philosophie, de la politique intérieure et de l’indépendance nationale, nous faisions tous la même remarque : sous des apparences calmes et même froides, ces gens-là sont singulièrement passionnés; leur flegme n’est qu’une habitude de l’âme qui, sûre d’elle-même et se sachant résolue, juge inutile de se dépenser en mouvemens superflus et en vaines paroles. Touchez certaines cordes, et dans l’accent de la voix, dans l’expression du visage, vous sentez vibrer la passion et la volonté. Comme plus tard son arrière-petit-fils, Guillaume III, le chef de cette famille a possédé au plus haut degré ce don suprême, une volonté intelligente et réfléchie, une ténacité qui ne naît point d’un stupide aveuglement, et que n’irritent ni ne découragent les revers. Un des traits du caractère national qui nous ont encore frappés en Hollande, c’est que nulle part le sentiment de la liberté n’est plus développé. Ailleurs on parle de liberté, mais chacun traite de malhonnêtes gens et de misérables tous ceux qui pensent autrement que lui; dès que l’on est au pouvoir, on en profite pour fermer la bouche à ses adversaires. En Hollande, les théologiens eux-mêmes respectent la liberté d’autrui. Or nul homme au monde ne fut plus vraiment libéral que Guillaume d’Orange, et n’eut plus de mérite à l’être. Protestant convaincu, il se refusa, jusqu’à sa dernière heure, à laisser persécuter et proscrire, dans les provinces qui lui obéissaient, le catholicisme, au nom duquel les bûchers s’allumaient partout dans les Flandres et qui le désignait, qui le recommandait aux poignards des assassins.

La lutte était engagée; l’envoi en Flandre du duc d’Albe à la tête de vingt mille Espagnols, l’institution du conseil de sang, le supplice des comtes d’Egmont et de Horn, avaient prouvé que Philippe II entendait marcher jusqu’au bout dans cette voie d’impitoyables rigueurs. Malgré les talens du duc d’Albe et les armemens considérables de l’Espagne, les gueux avaient réussi à se défendre dans leurs marais et leurs bois. Tout en ne rompant pas encore officiellement le lien qui les rattachait à la couronne d’Espagne, les provinces de Hollande, Zélande, Frise et Utrecht, par la bouche de leurs députés réunis à Dordrecht, avaient, en 1 572, proclamé Guillaume leur stathouder ou gouverneur. La prise de Harlem par les Espagnols et les cruautés qui la suivirent n’avaient fait qu’exaspérer les esprits. En 1573, le duc d’Albe repartait pour l’Espagne, haï de tous, suspect même à son souverain.

Son successeur, don Luis de Requesens, à peine installé en fonctions,