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FLAMARANDE.

pondrait certainement et ne tirerait pas sur moi, si je ne l’attaquais pas. Je le savais doué d’un grand sang-froid ; mais alors il me reconnaîtrait, il saurait que je surveillais ses rendez-vous avec la comtesse, et il m’échapperait. Je voulais absolument savoir où il demeurait ; je ralentis mon allure pour le rassurer. Nous étions dans l’allée des pins ; l’obscurité augmentait lorsque je vis les lanternes d’un coupé qui était arrêté là. Il sauta dedans sans rien dire au cocher, mais j’eus le temps de voir, aux reflets troublés de ces lanternes, non pas une figure distincte, mais une barbe grise et des cheveux d’un blanc de neige.

Je m’étais donc trompé ? Ce n’était pas là le jeune et beau Salcède ; mais alors quel était donc ce vieillard à qui Mme de Flamarande donnait rendez-vous au fond d’un bois par une triste soirée de février, et à qui elle disait avec l’accent de l’enthousiasme : — Oh ! que je vous aime, que je vous aime !

Le coupé avait filé vers la porte Maillot avec la rapidité de l’éclair. J’étais à pied, accablé de fatigue, brisé par l’émotion. Je ne pus trouver de voiture et dus marcher encore jusqu’à l’Arc-de-Triomphe. Là, je crus m’évanouir ; j’avais oublié de déjeuner. J’entrai dans un petit restaurant des Champs-Elysées pour me reposer plutôt que pour manger, et, m’asseyant dans un coin, je me pris à commenter amèrement la situation.

L’homme que j’avais vu était-il Salcède ? Pourquoi non ? On peut se déguiser avec une barbe et une perruque blanches. Si ma première impression ne m’avait trompé ni au bois de Boulogne, ni sur le sentier de Flamarande, Salcède était en France. Il y était caché et déguisé, puisque pas une personne de sa connaissance ne l’avait vu et ne savait son retour. Avec l’aide d’Ambroise, il avait pu percer le mystère qui pesait sur Espérance ; il avait dû alors revenir à Paris, et, craignant d’écrire à la comtesse pour l’informer de cette grande découverte, il avait dû lui demander un rendez-vous par l’intermédiaire de Mme de Montesparre. Je ne surveillais plus la remise des lettres aux personnes de la maison ; madame avait fort bien pu, depuis huit jours, s’entendre avec la baronne.

Ainsi le fait était accompli ! Mme de Flamarande savait tout, je n’avais plus rien à lui dire. Elle devait me haïr et me mépriser profondément. Quant à son mari, il devait lui être devenu odieux, et sa reconnaissance pour Salcède, pour l’homme qui lui rendait la joie de savoir son fils vivant, devait facilement avoir passé de l’enthousiasme à la passion.

Il y a plus, me disais-je ; cette passion a pu naître pendant le dernier séjour de madame à Pérouse. C’est là déjà qu’elle a pu recevoir des lettres, qu’elle a pu être informée, et, qui sait ? revoir