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Salcède. Elle n’est pas revenue d’Italie si calme et si belle sans qu’une grande joie soit entrée dans son cœur et dans sa vie. Qui sait si elle n’a pas été à Flamarande avec Salcède et si elle n’y a pas vu son fils pendant que j’y étais ? Yvoine est aussi habile que moi. M. de Salcède l’est peut-être plus que nous deux. Si tout est consommé, que me reste-t-il à faire ?

Le plus simple et le plus logique eût été à coup sûr de suivre mon premier élan et de me confesser à madame, comme si elle ne savait rien. Je ne devais pas, dans ce cas, compter sur sa reconnaissance. Au lieu des paroles de bonté et d’affection que j’aurais pu mériter, j’aurais sans doute à essuyer les reproches du premier moment ; mais elle n’en eût pas moins reconnu vite que je m’étais dévoué à son fils, et que je m’y étais attaché au point de trahir le secret du comte. Au lieu de rester le bourreau et l’ennemi de cette mère si cruellement éprouvée, je devenais son soutien, une sorte de muet protecteur entre elle et son mari, un intermédiaire dévoué entre elle et son enfant.

Oui, voilà ce qu’il fallait faire ; mais un inexplicable sentiment de colère et de ressentiment m’en empêcha. — N’ai-je pas été bien simple, me disais-je, d’avoir cru à la vertu d’une femme si habile à cacher ses émotions et si ardente à les satisfaire ? Où ai-je pris l’idée romanesque qu’elle était une victime digne de respect et de pitié ? quel voile avais-je donc sur les yeux quand j’accusais son mari de folie et d’injustice ? Après le châtiment qu’elle a subi et la menace d’être séparée de son second fils, aurait-elle l’audace de revoir Salcède et de tromper ainsi M. le comte, si elle n’avait pas été déjà une épouse coupable ? Oui, oui, M. de Flamarande a vu clair, Gaston est le fils de Salcède, et j’ai servi une vengeance bien fondée. Aurais-je la sottise de m’en repentir et la lâcheté d’en demander pardon ? Non certes ! J’ai été joué par elle, j’ai failli céder à son prestige, tomber sous son empire, me faire le serviteur du mensonge et de l’adultère ; mais c’est fini, bien fini : je la méprise et je la hais.

XLIII.

Après deux heures de trouble et d’inexprimable souffrance, je me remis en route sur la trace de Salcède. Je me rendis au faubourg Saint-Honoré, à son hôtel. Je savais que la maison était louée à un banquier allemand, mais je pensais qu’il avait dû y garder un pied-à-terre. Je m’informai en vain. Il n’avait pas conservé une seule chambre de son hôtel, et depuis près de trois ans on n’avait pas reçu de ses nouvelles. J’allai m’informer avec précaution chez