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je tremble, et n’ai jamais pu embrasser Gaston sans subir la terreur de perdre Roger. Vous me dites qu’il tolère ces entrevues. À la bonne heure ! Je sais bien qu’il ne m’a jamais fait l’honneur d’être jaloux de moi !

— Madame se trompe, il fut un temps…

— Un temps bien court où je pouvais me croire aimée ; mais pour avoir été sitôt changée en mépris, il fallait que l’affection fût bien peu sérieuse.

— Madame me permettra de lui dire que la faute en est à M. de Salcède. Il a fait bien du tort à madame !

— Oui, vous l’avez vu sortir de mon appartement, où mon mari l’avait trouvé, tandis que moi je ne le savais pas ; mais Salcède ne m’y savait pas non plus ! Sa faute est légère, et elle est si bien réparée !

— Il ne peut pas la réparer envers Gaston, qu’il a privé de nom et de fortune.

— Eh bien ! Gaston aura la fortune et le nom de Salcède.

— Madame la comtesse en a la certitude ?

— Oui.

M. de Salcède est bien jeune encore pour renoncer à s’établir.

— Je suis sûre de lui.

— Et madame s’arrête à la résolution de lui laisser adopter M. Gaston ?

— Il le faut bien, puisque le véritable père est inexorable ! Oui, je m’arrête à cette résolution, quelque douloureuse qu’elle me soit. J’avais au moins espéré qu’un mariage entre M. de Salcède et Mme de Montesparre donnerait à mon fils une mère tendre sans que le marquis fût condamné au célibat ; mais il’ne de Moniesparre, après avoir admis cette idée, la rejette et paraît avoir d’autres projets pour son compte.

— D’ailleurs, observai-je avec un peu d’irréflexion, M. de Salcède n’a jamais admis la pensée de ce mariage.

— Vous le savez, Charles ? vous en êtes sûr ? Comment pouvez-vous savoir cela ?

— La manière dont il s’est dévoué au fils de madame la comtesse prouve de reste la fidélité de son attachement.

— Oh oui ! s’écria-t-elle avec une émotion qu’elle n’essayait pas de me cacher, c’est un ami fidèle, admirable ! Grâce à lui, Gaston, qui était condamné à vivre ignorant, inculte, abruti peut-être par l’isolement, a reçu un développement complet. C’est un hom^e à présent, et c’est déjà un homme d’une réelle valeur comme celui qui l’a formé !