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la mairie de Flamarande, endosserait forcément un nouvel état civil et aurait plus de peine à prouver qu’il était l’enfant né à Sévines et nourri à Nice. Que mes calculs fussent justes ou non, il y avait là quelque chose à tenter. Je savais par Mme de Flamarande que Michelin n’était pas contraire au mariage de sa fille avec Espérance, qui était en somme un bon parti quant aux ressources présentes (je faisais toujours toucher la pension), mais dont l’absence de nom et de famille avouée lui répugnait un peu. Michelin avait des idées aristocratiques dans son genre. Il avait découvert, dans de vieux actes, que ses ancêtres avaient régi la ferme et habité le manoir de Flamarande dans des temps reculés ; il se croyait presque noble, et, voyant tomber sa postérité en quenouille, il ne trouvait pas que le nom d’Espérance pût conserver l’antique lustre de celui de Michelin.

Il y avait une chose bien simple à faire, c’est que M. de Salcède reconnût Espérance pour son fils ou procédât à son adoption pour lui faciliter le mariage ; mais M. de Salcède approuverait-il ce mariage, voilà ce que je ne pouvais pas savoir, ce que madame elle-même ne savait pas, n’ayant pas encore attaché une grande importance à l’inclination du jeune homme.

Une autre chose plus simple encore, c’était que Michelin attribuât par contrat de mariage son glorieux nom à l’enfant qu’il avait élevé. Pour l’y décider, M. de Flamarande pouvait bien faire un petit sacrifice. Une dot de quarante ou cinquante mille francs serait pour Espérance une fortune devant laquelle tout scrupule s’évanouirait. Je pouvais faire parvenir ce don anonyme à l’insu de tous. Peutêtre alors M. de Salcède se déclarerait-il le père réel ou adoptif, soit pour empêcher le mariage, soit pour le consacrer.

Dès que ce dessein fut conçu, il me passionna et me fit recouvrer mon ancienne activité. Peut-être que, comme on me l’a reproché plus tard, je cédais à un besoin d’intrigue qui était en moi une fatalité et me faisait dépérir dans l’inaction de la vie passive. Quant â moi, je pensais fermement servir Roger et agir providentiellement sur les destinées de la famille.

Il me fallait l’assentiment de M. de Flamarande, et il n’y avait pas de temps à perdre, car la comtesse, profitant de l’absence de Roger, se disposait à partir pour Montesparre. Je la priai de différer de quelques jours et prétendis que j’allais faire une dernière tentative auprès de son mari. Cette offre répondait tellement à son désir, qu’elle m’en témoigna sa reconnaissance et pressa mon départ pour Londres. Là m’attendait la rencontre d’un événement qui devait tout remettre en question. M. de Flamarande était gravement malade ; l’hépathie avait fait soudainement d’effrayans pro-