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FLAMARANDE.

grès. Je le trouvai au lit, en proie à de vives douleurs. Sa figure décomposée était couleur de terre. Il avait tout d’un coup vieilli de vingt ans. Dès le premier coup d’œil, je le jugeai perdu.

Il voulut me parler tout de suite, et, malgré ses souffrances, il ordonna de me laisser seul avec lui. — Le temps presse, me dit-il. Je sais que je suis condamné. N’écrivez pas à ma femme ; je ne puis la recevoir ici. Vous dites que mon fils est à Moscou ou à Odessa. Il n’arriverait pas à temps pour me voir. Il m’écrit peu et ne me marque pas un grand attachement. Moi, je regrette de ne pouvoir faire de lui le cas que j’aurais souhaité. Il y a une fatalité, Charles, j’ai voulu aimer exclusivement Roger, et je n’ai trouvé en lui rien de ce que j’eusse exigé. Je quitte la vie sans regret. Depuis quelques années, le spleen anglais s’est emparé de moi. Peut-être me serais-je brûlé la cervelle, si la maladie ne se fut chargée de me délivrer de l’existence. Avant de mourir, je tenais à vous voir. Vous venez à propos. Avez-vous toujours la déclaration relative à Gaston que vous m’avez fait signer ?

Je craignis qu’il ne voulût la confirmer. Il me paraissait prévenu contre Roger. J’eus peur pour mon cher enfant. Je répondis que dans une course auprès de Ménouville, où mon cheval m’avait emporté dans la rivière, j’avais été mouillé au point que les papiers que j’avais sur moi avaient été anéantis.

J’avais eu tort de m’inquiéter. Le comte se montra très content de l’aventure. — J’espère, me dit-il, que vous ne me trompez pas ; mais, quoi qu’il en soit et quoi qu’il arrive, jurez-moi sur votre salut éternel et par le nom du Christ que jamais vous ne produirez cette pièce en faveur de l’enfant étranger. — Je le jurai par l’amour que je portais au fils légitime. — Vous n’avez pas hésité, reprit-il. Je vois que vous êtes revenu de vos illusions sur la vertu… il faillit dire de ma femme, mais il se reprit par sentiment des convenances et dit : des femmes. Je ne répondis rien, j’étais trop convaincu de la faute de madame pour protester, mais j’avais trop d’attachement pour elle pour l’accuser. Je me renfermai dans le silence. — À présent, reprit-il, réglons le sort du fils de M. de Salcède. Son père l’ayant pour ainsi dire avoué, cet enfant n’a plus besoin de moi, et j’espère que vous ne faites plus rien pour lui.

— Pardon, monsieur le comte, et même je vais vous demander de faire davantage. — Et je lui exposai mon plan. Il l’écouta avec beaucoup de lucidité, l’approuva et me fit prendre quarante mille francs dans son secrétaire, afin que cet article n’eût pas à figurer sur mes comptes.

Après cet entretien, il se sentit plus mal et demanda le prêtre. Quand il se retrouva seul avec moi, il me dit : — Je ne puis plus