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d’interprétation ne pouvait plus dissimuler? Par exemple, plus on avait trouvé d’édification à penser avec l’école antérieure qu’au nom de la Bible comme au nom de la science chaque espèce végétale et animale est provenue d’un acte créateur immédiat, plus on devait se sentir mal à l’aise en apprenant que les faits mieux observés conduisaient de plus en plus les naturalistes à révoquer en doute cette indépendance absolue des espèces, et même que des savans tels que MM. Darwin et Wallace se prononçaient catégoriquement dans le sens opposé. Tant que l’influence de Cuvier sur la géologie fut prépondérante, on avait pu se bercer de l’idée que les révolutions du globe cadraient assez bien avec les jours mosaïques de la création; mais que fallait-il penser d’une géologie moins poétique, infiniment plus positive, qui, dans les travaux de M. Lyell et de ses disciples, substituait les actions lentes et locales, supportées par l’infini du temps, aux brusques changemens à vue que les premières théories postulaient sur toute la surface de la terre? Longtemps on avait nié en géologie toute trace réelle de l’homme fossile. Cela confirmait merveilleusement la donnée biblique d’après laquelle l’homme a été créé de toutes pièces à un certain moment de la durée, en un point de l’espace, après tous les végétaux et tous les animaux; c’était une confirmation indirecte de la chronologie sacrée qui n’assigne à l’humanité que six ou sept mille ans d’existence actuelle. Il fallut pourtant à la fin se rendre à l’évidence qu’il y a des débris de l’homme fossile, des traces indubitables de sa vie à des époques éloignées de la nôtre au bas mot par un espace de soixante à cent mille années, sans compter que ces traces elles-mêmes supposent un développement d’industrie réfléchie qui ne permet pas d’affirmer qu’on a touché le tuf au-dessous duquel on ne peut pas pénétrer. Enfin les théories perfectionnées de Kant et de Laplace sur la formation des mondes, les résultats des sciences botaniques et physiologiques sur la vie, ses origines, sa nature réelle, ses rapports avec le monde inorganique, la comparaison et la genèse historique des religions, des langues et des races humaines, tout concourut à démolir le frêle édifice que dans une heure de juvénile confiance la première moitié du XIXe siècle avait élevé pour y loger ensemble la science et la foi comme deux sœurs à jamais réconciliées.

Quel est le principe latent sous toutes ces questions de détail qui explique la passion avec laquelle beaucoup d’esprits religieux, s’estimant menacés dans la possession de leur bien le plus cher, ont jeté l’anathème de réprobation sur des thèses scientifiques dont ils auraient dû laisser la discussion aux hommes compétens? C’est au fond le principe de continuité qui ressort toujours plus victorieux de