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FLAMARANDE.

Je m’attachai à ses pas, et je devins aussi habile à ce triste métier d’espion que pas un limier de la police. Il me répugnait et me fatiguait, mais une fièvre intérieure me poussait et me soutenait. Peine inutile ! madame ne retourna plus seule au bois de Boulogne ni à aucune espèce de rendez-vous. Toutes ses démarches bravèrent le grand jour. Elle n’alla pas voir Mme de Montesparre et parut irrévocablement brouillée avec elle.

De toutes les lettres qu’elle écrivit et dont il me fut possible de voir la suscription, aucune ne fut adressée à la baronne, ni à Salcède, ni à aucune personne qui pût m’être suspecte. J’eus beau chercher M. de Salcède à Paris, il fut introuvable ; si je ne l’eusse vu de mes propres yeux, si je n’eusse appris qu’il avait les cheveux blancs, si la Niçoise, sans le connaître, ne m’eût révélé son action sur elle, je me serais cru visionnaire.

XLIV.

Dans les premiers temps après le rendez-vous que j’avais surpris et l’explication que j’avais tenté de provoquer, Mme la comtesse, toutes les fois que je me trouvai en sa présence, me témoigna de la bienveillance et s’informa avec intérêt de ma santé, qui était redevenue chancelante. J’espérais lui inspirer un peu d’effroi ; mais, quand elle vit l’air contraint dont je recevais ses avances, elle reprit son grand air d’indifférence ou d’impassibilité.

Trois ans s’écoulèrent ainsi, moi la surveillant toujours, elle n’y prenant pas garde et déjouant toutes mes ruses par la franchise apparente d’une conduite exemplaire. Il est vrai qu’à Paris seulement durant l’hiver elle était obligée à cette prudence ; elle passait tous les étés dans sa terre de Ménouville en Normandie, et là elle n’était guère surveillée, car M. le comte n’aimait pas beaucoup ce séjour et faisait de fréquens voyages à Paris, où je le suivais toujours. La tranquillité de mon maître était extraordinaire après les violentes agitations qu’il avait subies. Il n’était plus jaloux et vivait dans les meilleurs termes avec sa femme, tout en s’occupant d’elle le moins possible. Dois-je avouer qu’il avait une maîtresse fort pimpante, une des reines du mauvais monde ? Il faut bien que je dise tout dans cette véridique histoire où je me suis trouvé investi par ma conscience du rôle de magistrat instructeur. M. le comte avait besoin d’une intimité de ce genre : il lui fallait de la passion, de la jalousie, de la colère. Il en eut à souhait pour son argent, et je le vis en passe de se ruiner. Heureusement il fut vite supplanté et s’accommoda d’une personne de moindre appétit, d’un oiseau de moindre volée. Il eut son ménage chez elle, c’est-à-dire qu’elle fut