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rente, car en outre du capital qui lui avait été donné pour s’établir, M. le comte lui faisait une pension pour porter un nom d’emprunt et ne jamais se faire connaître.

J’étais sans inquiétude sur son compte. Elle m’avait prouvé sa discrétion, et elle avait trop d’intérêt à se taire pour y manquer. Je ne l’avais pas vue depuis six mois et n’avais pas entendu parler d’elle. J’appris avec surprise qu’elle avait vendu sa maisonnette et son jardin. Elle avait quitté la campagne, on ne savait pas son adresse. Pourtant, à force de questionner et de m’informer, je découvris qu’elle habitait Paris, rue Neuve-des-Mathurins, 19. J’y courus le soir même, m’étonnant de n’avoir pas été averti par elle de ce changement de domicile.

Je fus introduit dans un joli petit appartement fraîchement décoré et trouvai ma Niçoise en robe de soie, coiffée en cheveux et chaussée comme une vraie Parisienne. Ce n’était plus une villageoise, c’était une petite rentière, vivant sagement et ne songeant qu’à bien élever son fils. Dès mon premier regard sur elle et sur son intérieur, je compris qu’elle avait vendu notre secret et je lui reprochai sa trahison. — Je n’ai rien fait de mal, répondit-elle. On m’a découverte je ne sais comment. Je vivais tranquille à Villebon et ne me montrais jamais à Paris. On est venu me supplier, me menacer, me questionner. On m’a promis le double de ce que j’avais reçu de vous, et on a ajouté qu’on ferait plus tard un sort à mon fils. J’ai refusé ; mais quand j’ai vu les billets de banque et le monsieur si comme il faut…

— Un grand jeune homme avec des cheveux blancs ?

— Justement ; mais je ne sais ni son nom, ni son pays, ni où il demeure. Il me parlait du chagrin de cette pauvre mère à qui on cache toujours son fils, à ce qu’il paraît. J’ai cédé, je vois bien que vous allez me retirer ma pension, c’est votre droit et c’est juste. Je peux m’en passer, j’en ai une meilleure, car le capital est placé au nom de mon fils.

Je crus prudent de ne pas punir par l’amende la trahison de cette femme ; elle nous abandonnait, mais elle ne nous dénonçait pas. Je me retirai en lui laissant croire que M. de Flamarande avait toujours l’intention de reprendre son fils, et que Mme de Flamarande acceptait le retard apporté à cette décision. Je n’informai mon maître de rien, c’était facile. Il ne parlait pas volontiers de Gaston et ne faisait pas de questions sur son compte. D’ailleurs j’avais pris mon parti : ne pas trahir la comtesse, ne plus jamais servir la vengeance de son mari, ne pas troubler le bonheur de la mère recouvrant son fils ; mais tourmenter et humilier la femme au bras de son amant.