à la république naissante l’état des dépenses de la guerre scrupuleusement appuyé de pièces justificatives, le temps où Franklin, ambassadeur à la cour de France, faisait dire de lui, tant étaient simples ses vêtemens : « Quel est ce vieux paysan qui a l’air si noble? » où Jefferson refusait de violer la loi en restant, passé un certain terme, à la tête de son pays. Gloire au gouvernement, quel qu’il soit, qui s’appuie sur de telles vertus! Malheureusement nous sommes trop disposés en France à prendre pour une continuation de cet âge d’or l’âge plus ou moins doré que MM. Mark Twain et Dudley Warner nous présentent enfin sous son vrai jour avec ses plaies et ses souillures; certes ce n’est pas lui que nous devons envier. L’or qui de loin brille d’un éclat si pur n’est que du clinquant; il suffit d’y toucher pour s’en convaincre : spéculations, élections, fraudes de toute sorte, vont passer au creuset sous nos yeux, et le principal intérêt de cette expérience sera d’être faite par deux Américains.
On peut toujours se méfier des engouemens ou des critiques du voyageur devant un ordre de choses qui lui était inconnu la veille et qu’il entrevoit superficiellement à travers ses préjugés. Combien de livres écrits sur l’Amérique par tel ou tel Européen sont un tissu d’utopies et d’illusions! Quelles légendes ont circulé ainsi au sujet de la Californie, quels lieux-communs continuent d’avoir cours touchant la constitution modèle des États-Unis! Quand Bret Marte au contraire trace à grands traits la vie des argonautes de 49, quand Eggleston raconte naïvement celle des colons grossiers de l’Indiana et de l’Ohio, nous sentons qu’ils ont été eux-mêmes acteurs dans les événemens que leur plume enregistre, nourris des idées dont ils font l’éloge ou le procès, et leurs moindres esquisses prennent un intérêt très vif pour quiconque cherche à pénétrer dans les vicissitudes de la civilisation américaine. Encore ces romanciers de terroir n’ont-ils traité que certains épisodes de l’immense tableau que MM. Mark Twain et Warner entreprennent aujourd’hui de dérouler tout entier. Leurs forces sont-elles à la hauteur d’une pareille tâche? Nous ne saurions répondre affirmativement. Au point de vue de l’ordonnance et de la composition, l’énergique satire qu’ils ont intitulée the Gilded Age laisse beaucoup à désirer; il y règne un désordre, une exubérante confusion, un mélange de bon sens et de folie qui ne saurait surprendre de la part de Mark Twain (M. Samuel Clemens), le plus audacieux des humoristes[1]. Tantôt il cite les faits avec la précision sèche d’un reporter ; tantôt il les exagère et s’en moque de telle sorte que le
- ↑ Voyez, dans la Revue du 15 juillet 1872, les Humoristes américains.