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préoccupation de son devoir et de sa responsabilité, a-t-il un peu exagéré des symptômes trop réels d’indiscipline ; peut-être aussi a-t-il pris des propos de table pour des intentions réfléchies lorsqu’il nous représente Louis de Larochejacquelein comme ayant formé la résolution d’assassiner l’empereur. Une levée d’armes, à la bonne heure ! Deux ans plus tard, en 1815, Louis de Larochejacquelein essaiera de soulever la Vendée, et, payant bravement de sa personne, il mourra dans cette lutte. Il a pu concevoir la même pensée en 1813, pendant que Ségur organisait à Tours le 3e corps des gardes d’honneur. Au surplus, si le général de Ségur, presque assassiné lui-même par un de ses gardes d’honneur, a bien pu exagérer dans ses Mémoires l’importance de cet épisode, on est touché de voir comme il atténue l’affaire auprès de l’empereur. La première fois qu’il le vit, plusieurs mois après, à Mayence : « Eh bien ! lui dit l’empereur, que viens-je d’apprendre ? qu’est-ce que cette affaire de Tours ? encore une conjuration ? — Oh ! sire, une conjuration d’écoliers. — Comment d’écoliers ? ils vous ont assassiné ! — C’est vrai, mais fortuitement, follement, et cela n’a guère eu plus d’importance qu’une émeute de collège. — Allons donc ! une émeute de collège à coups de pistolet ! » Et l’empereur ajoute des paroles menaçantes ; alors le général insiste, plaide la cause des accusés, affirme qu’on ne doit voir en tout cela que des effervescences juvéniles, conclut enfin en disant qu’il suffira de disperser dans l’armée les jeunes rebelles, comme il l’a écrit déjà au ministre de la guerre. « Oui, certes, reprend l’empereur, voilà un beau moyen pour étouffer une conspiration ! Allons, vous n’y entendez rien. » Ségur ne s’y entendait pas si mal, puisque l’empereur, après une explosion de colère, revint aux pensées de clémence qui lui étaient suggérées ; les jeunes fous en furent quittes pour la prison.

Pendant que cette ennuyeuse mission avait retenu Ségur en Touraine, Napoléon avait soutenu en Allemagne l’effort de toute l’Europe. Le général n’assista donc à aucune des grandes journées de la guerre de 1813. Il ne prit part ni à la campagne d’été, ni à la campagne d’automne. Il n’était pas à Lutzen et à Bautzen, il ne fut pas non plus à Dresde et à Leipzig. C’est seulement le 2 novembre que, sa mission terminée, il rejoignit l’empereur à Mayence. Souvenir lugubre ! l’impression qu’en ressentit Ségur a pesé sur lui pendant toute sa vie. Le second désastre était consommé. Cette retraite de 1813 rappelait la retraite de 1812. Si les souffrances physiques étaient moindres, les douleurs morales étaient plus cruelles. La foi qui avait été si longtemps la force de l’armée disparaissait de jour en jour ; chefs et soldats ne croyaient plus à l’empereur comme ils y croyaient auparavant. « Le malheur, dit amèrement Ségur,