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FLAMARANDE.

chiens de la montagne n’arrivaient pas jusqu’à moi, et je ne pouvais les distinguer que comme des points épars dans l’herbage.

Mais il n’est pas difficile de descendre d’un entresol, même sur un mur lisse et récrépi, pour peu que l’on ait une corde ou un drap de lit. Les rideaux de la fenêtre pouvaient au besoin me servir. D’ailleurs, puisque j’avais trouvé la fenêtre ouverte, Yvoine viendait certainement la refermer avant la nuit. Je me tranquillisai et même je songeai qu’il fallait mettre le temps à profit pour chercher dans cette maison le secret de Mme de Flamarande, non pas seulement ses visites à son fils, je ne pouvais plus douter du fait et j’étais résolu à ne pas y apporter d’obstacles, mais ses relations avec Salcède, dont je comptais acquérir la preuve.

Elle était là ou nulle part au monde, cette preuve qui devait être pour moi la garantie de Roger contre les empiétemens de l’avenir. Il fallait la trouver, il fallait explorer minutieusement le refuge. J’ignorais encore que tel était le nom de cette habitation, qui, jadis, avait été en effet une dépendance du manoir.

Je montai résolument à l’étage supérieur, où une autre pièce s’ouvrait sur l’escalier de bois garni là d’une simple natte. La porte n’était pas fermée à clé. Je pénétrai dans une sorte de cabinet de travail des plus simples : une grande table de bois blanc, un bureau en chêne, un fauteuil de cuir avec une chaise élevée à côté. Le long des murs, des rayons chargés de livres et d’herbiers ; — cela sentait le Salcède. Toute la flore des montagnes était là. Il y avait aussi des cadres d’insectes et des échantillons minéralogiques. C’était le cabinet d’un naturaliste. Ces études étaient fort étrangères à Mme Rolande. Donc j’étais chez M. le marquis de Salcède.

Je montai encore et ne trouvai qu’un petit grenier rempli de gros échantillons minéralogiques, de bottes de plantes sauvages séchées avec leurs graines, des caisses, des malles, des armes et des chaussures de chasse ; aucune adresse sur les caisses, aucune malle dont je connusse l’origine, aucun carton, aucun vestige de la présence d’une femme.

Je redescendis au cabinet de travail. Je ne voyais de lit nulle part, je découvris enfin celui du naturaliste, caché par un panneau mobile de sa bibliothèque et formant alcôve dans l’épaisseur de la muraille. Ce lit assez recherché trahissait un reste des habitudes de l’homme du monde. Ce n’était point Ambroise qui couchait là.

Au salon, même perquisition me fit découvrir une alcôve pareille derrière un panneau de boiserie et un lit encore plus recherché avec oreiller, draps blancs très fins plies sur le matelas de grosse soie blanche, oreiller garni de dentelles, couvre-pieds de satin ouatés de duvet. C’était bien là le lit d’une femme élégante ; mais pas un chiffon, pas un ruban, pas une épingle oubliée.