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une proportion moindre de tout pays, si petit et si perdu qu’il soit dans un coin du globe. Ses mouvemens politiques, la fièvre qui l’agite, les secousses auxquelles il est sujet, réagissent sur les relations commerciales comme ceux des grandes puissances qui mènent le monde. Au surplus, on ne saurait nier l’intérêt qui s’impose lorsque par dix années de prospérité et de paix intérieure, à peine troublées par une guerre plutôt profitable que nuisible au développement progressif, un pays a pu, comme c’est le cas de la république argentine, attirer à lui un flot considérable d’immigration, entreprendre des travaux publics de tout genre, contracter des emprunts à l’étranger, créer ou appeler à lui des capitaux qui lui ont permis de prendre sa place dans le mouvement économique et financier du siècle. À ces différens points de vue, l’insurrection qui avait éclaté à Buenos-Ayres après une année de luttes électorales mérite toute l’attention non-seulement de ceux dont les intérêts ont été gravement mis en péril, mais de tous ceux qui ont à cœur d’étudier sur le vif le fonctionnement d’institutions et l’application de principes de liberté dans une société nouvelle, sans tradition, sans liens dans le passé, presque sans antécédens historiques. L’intérêt augmente, si l’on remarque que cette insurrection était dirigée par le général don Bartolomé Mitre, à qui appartient la gloire d’avoir, il y a douze ans, constitué l’union républicaine après les luttes qui divisèrent la confédération argentine au sortir des vingt années de despotisme féodal de Juan Manuel Rosas. Un trait caractéristique se trouve encore dans ce fait, que le parti révolutionnaire, par une étrange anomalie, n’était composé que de conservateurs, de propriétaires, de financiers, et réunissait dans son sein la plupart des noms les plus considérables et certainement les deux tiers des capitaux et des fortunes territoriales de la Plata.

Nous voudrions résumer la raison politique de ce soulèvement, dans lequel nous verrions volontiers sinon la dernière des convulsions politiques de la république argentine, du moins l’heureux présage d’une longue période de paix et la fin des révolutions qui ont fait aux républiques sud-américaines une réputation de turbulence, excusable quand il s’agissait de fonder et de constituer subitement la liberté sur les débris des lois espagnoles, mais injustifiable lorsqu’il n’y a plus en jeu que des questions d’ambition personnelle ou d’influence politique.


I.

La république argentine, dont la capitale de fait est Buenos-Ayres, se compose de quatorze provinces inégalement prospères, inégalement