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n’interdisent pas, et il est dangereux de donner une sanction légale à la brutalité du vainqueur et une définition juridique de droits et de délits qui, par leur nature même, sont indéfinissables. Le délégué de Belgique, M. le baron Lambermont, disait dans une des séances de la commission que la guerre a ses pratiques, que c’est assez de les tolérer, qu’il ne faut pas leur faire l’honneur de les convertir en règles et de les inscrire dans un code. Il ajouta : « Si des citoyens doivent être conduits au supplice pour avoir tenté de défendre leur pays au péril de leur vie, il ne faut pas qu’ils trouvent inscrit sur le poteau au pied duquel ils seront fusillés l’article d’un traité signé par leur propre gouvernement, qui d’avance les condamnait à mort. » On peut souhaiter aussi que les exécuteurs de ces infortunés considèrent la triste besogne commise à leurs soins comme une violence que justifie la nécessité, et s’il n’était pas vrai qu’elle fût nécessaire, il serait déplorable qu’ils fussent défendus contre les étonnemens ou les perplexités de leur conscience par quelque article d’un code international qui décrète que dans certains cas un patriote est un criminel. La seule garantie contre les abus de la force est le sentiment qu’elle a de sa responsabilité et la peur que lui inspire quelquefois l’opinion. Tout ce qui pourrait soulager ses doutes ou étouffer ses scrupules, tout ce qui fixerait ses incertitudes touchant ce qui est licite et ce qui ne l’est pas ne servirait qu’à encourager son insolence; il vaut mieux que, faute de prescriptions positives, elle soit toujours inquiète du jugement qu’on portera sur elle. Funestes sont les lois quand elles mettent à l’aise les consciences.

Comme on le voit, l’Angleterre avait de bonnes raisons à donner pour justifier la défiance que lui inspire l’œuvre commencée à Bruxelles et qui doit se poursuivre à Saint-Pétersbourg. Il est plus douteux qu’elle ait sagement ou utilement agi en faussant compagnie à l’Europe et se retirant sous sa tente. Il n’y avait pas péril en la demeure, puisque les décisions de la conférence doivent être soumises à l’acceptation des gouvernemens et des corps législatifs. Ou la conférence avortera, et il est plus agréable de constater un avortement que d’en être rendu responsable, ou, contre toute espérance, on parviendra à réaliser un accord qui ne compromette aucun intérêt, et il sera fâcheux que la signature de l’Angleterre manque à cet acte international. L’Angleterre est en situation de faire ce qui lui plaît et de le faire comme il lui plaît. Les petits états, qui ont le chagrin de n’être pas des îles, sont obligés à des égards dont les puissans peuvent se dispenser. Il est probable qu’ils enverront des délégués à Saint-Pétersbourg, et qu’éclairés par les discussions de Bruxelles, ils leur donneront des instructions précises, qu’ils les chargeront de dire nettement ce qu’ils peuvent concéder et ce qu’il faut renoncer à leur demander. S’ils s’abstenaient, l’acte international qu’on projette pourrait se changer en un arrangement particulier entre quelques grandes