puissances qui n’auraient plus à se soucier des réserves et des convenances des petits; mais assurément les délégués de la Belgique, des Pays-Bas et de la Suisse regretteront de ne plus avoir l’Angleterre à leurs côtés, puisqu’ils pouvaient compter sur ses sympathies et qu’elle avait si bien compris leurs intérêts.
Ce qui est certain, c’est que, si le refus du cabinet anglais a été un acte de raison, beaucoup de gens l’ont interprété comme un acte d’humeur. Le bruit court en effet que l’Angleterre n’est pas contente, bien qu’elle eût juré de l’être toujours. Fière de sa richesse, de sa puissance, de ses institutions libres que le monde lui envie, elle avait pris le parti de jouir tranquillement de son bonheur, et pour que rien ne vînt troubler sa quiétude optimiste, elle avait résolu de se désintéresser des affaires du continent, de ne s’en mêler tout au plus que pour donner des conseils, en promettant d’avance de ne point se fâcher s’ils n’étaient pas suivis. En un mot, elle appliquait à la politique les principes de la liberté commerciale, la théorie du laisser-faire et du laisser-passer. Pendant des années, elle a laissé faire les ambitieux, elle a laissé passer les événemens. Cette politique d’abstention a produit des fruits qui lui semblent amers. L’Angleterre, qui représente dans le monde le libéralisme, l’industrie et le commerce, voit aujourd’hui l’Europe tout occupée à fabriquer des soldats et la paix livrée à la merci de gouvernemens militaires qui ne passent pas pour mépriser les conquêtes. L’Angleterre, toujours soucieuse de l’équilibre européen et de la conservation des petits états, a conçu des inquiétudes pour la sûreté de deux de ces états qui lui sont chers; elle appréhende qu’ils ne servent d’enjeu ou de gage dans telle partie sanglante qui se jouerait sur leurs frontières. Jalouse de son influence à Constantinople, elle a le déplaisir de voir les affaires d’Orient gouvernées par un triumvirat dont les visées sont mystérieuses et qui ne lui fait pas ses confidences. Il y avait autrefois un pays dont elle surveillait les ambitions, mais avec qui elle aimait à échanger ses idées, avec qui elle concertait dans l’occasion de communs desseins, en lui faisant prendre l’engagement de n’y rien gagner. Quand l’Angleterre et la France s’entendaient, elles pouvaient faire ensemble la police de l’Europe; il faut aujourd’hui que l’Angleterre la fasse seule, et son ancienne alliée a perdu à jamais le goût des guerres désintéressées. Il est naturel que l’Angleterre ait de l’humeur, mais l’humeur ne remédie à rien. Le jour où elle s’occupera sérieusement de rétablir en Europe son influence compromise, elle ne s’en tiendra pas à des incartades; elle trouvera des moyens plus efficaces de forcer les puissances dont les intentions lui sont suspectes à compter avec elle, et sûrement elle saura leur prouver qu’elle possède encore le don de prévoir et le talent d’empêcher.