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Flamarande. Les autres compartimens du même wagon contenaient miss Hurst, deux domestiques des plus attachés au comte et deux vieux parens qui voulurent l’accompagner jusqu’à Clermont. Madame voyageait tantôt avec les uns, tantôt avec les autres. Elle continuait à être grave et recueillie comme la situation le commandait, et je la trouvais réservée à un point qui m’inquiétait. Elle semblait réfléchir profondément au nouvel horizon qui s’ouvrait devant elle ; mais elle ne voulait plus dire ses craintes ou ses espérances, et quand, m’efforçant de la distraire, je lui disais qu’elle allait se trouver pour la première fois au milieu de ses deux enfans, elle me souriait doucement comme pour me dire merci, et ne s’expliquait plus.

Je pensais la deviner. Elle n’était pas décidée. La mort imprévue de son mari avait tout remis en question pour elle. Enfin, aux approches de Flamarande, comme j’insistais, lui demandant, pour la forcer de répondre, dans quel sens son désir serait de me voir agir, « Mon bon Charles, me dit-elle, je n’ai rien arrêté. Que puis-je faire sans l’avis, sans la volonté de M. de Salcède ? N’a-t-il pas sur l’enfant qu’il a élevé des droits plus sacrés que M. de Flamarande n’en avait sur Roger, dont il ne s’occupait plus depuis dix ans ? Ne pas reconnaître Gaston sera de ma part, aux yeux de Gaston, l’aveu d’une faute que je n’ai pas commise. Vous me direz qu’à le reconnaître il y a un danger équivalent, celui de lui faire penser que je n’ai pas été injustement soupçonnée. Je ne pourrais me justifier qu’en accusant son père, et je ne veux pas, je ne dois pas lui faire maudire son père. Je me trouve dans une impasse, et je comprends que M. de Salcède avait raison lorsqu’il me suppliait de ne plus me faire voir à Gaston quand l’âge est venu où il devait se rappeler mes traits : j’avais promis, et puis l’enfant a eu le croup, il a été en danger, je me suis à peine annoncée, je suis accourue, et alors il m’a aimée, et moi je n’ai plus eu le courage de l’abandonner. Je vais essayer cette fois de ne pas me montrer à lui, et peut-être sera-t-il possible de lui cacher encore que sa mère la paysanne est la comtesse de Flamarande ; mais, à moins de l’envoyer dans un pays éloigné où il ne risquera pas de me rencontrer sous mon nom, sera-t-il possible de lui laisser ignorer toujours la vérité ? Moi d’ailleurs, je n’ai qu’un désir et qu’un vœu, c’est que, n’importe sous quel nom et à quel titre, il vive près de moi. Je consentirai à tout, pourvu que je ne sois plus séparée de lui. J’accepterai même ses soupçons, si, malgré lui, il lui arrive d’en concevoir. Je suis sûre qu’il les combattra en lui-même et ne m’en aimera pas moins.

— Il est possible, répondis-je, que l’éducation qu’il a reçue lui