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FLAMARANDE.

fasse surmonter les inquiétudes que vous redoutez ; mais madame ne pense qu’à celles de M. Gaston : elle me paraît oublier celles que peut concevoir M. Roger.

Mme de Flamarande qui marchait auprès de moi, sur le chemin de la montagne, pendant que les voitures prises à Murât suivaient au pas le corbillard avec nos autres compagnons de voyage, s’arrêta brusquement comme si je lui eusse poussé un serpent sous les pieds.

— Roger ? s’écria-t-elle, Roger me soupçonnerait ? Voilà à quoi je n’ai jamais songé par exemple ! Ah ! ne dites jamais ce mot-là, Charles, Roger aura toujours foi en sa mère comme en Dieu.

— Il est vrai que madame la comtesse peut compter sur sa tendresse beaucoup plus que sur celle de M. Gaston…

— Je ne dis pas cela, mais Gaston ne me connaît que par l’instinct de son cœur, et Roger me connaît comme lui-même. Il ne m’a jamais quittée, il a été nourri par moi, il m’a vue auprès de lui, son appui, son secours, son bien, sa chose, à tous les momens de son existence. Roger et moi, c’est un seul être en deux personnes. Non, non, je ne crains pas mon Roger ; je lui dirai : Ton père était bizarre, tu le sais bien, il a voulu élever son aîné comme cela jusqu’à sa majorité. J’en ai souffert, mais je me suis soumise, parce que je craignais qu’il n’agît de même avec toi. Roger ne m’en demandera pas davantage, et il adorera son frère. Oh ! non, ce n’est pas de ce côté-là que le chagrin me viendra jamais.

— Certainement non, mais M. Roger est bien jeune ; il a des passions, des besoins, et l’habitude d’aspirer à un certain état dans le monde. Le partage des grands biens qui lui incombent apportera un notable changement…

— Un changement salutaire peut-être, Charles ! Je redoute beaucoup cette grande fortune pour Roger qui est si jeune et si ardent au plaisir. Qu’il soit de moitié moins riche, il fera moitié moins de folies. Cependant la question n’est pas là ; s’il n’y avait que cette considération, elle serait nulle, car les droits de Gaston sont imprescriptibles tant que nous n’aurons pas disposé de son état civil par quelque mensonge jugé nécessaire à son bonheur, mais auquel je répugne beaucoup, je ne vous l’ai jamais caché. Vous me paraissez être dans les idées de M. de Salcède, et je ne saurais vous faire un crime de votre sollicitude pour Roger. Loin de là, je vous en suis reconnaissante, bien que je ne puisse rien décider encore. Il faudra tenir conseil, car l’avis de M me de Montesparre est bon à prendre aussi ; je vous promets, Charles, que vous serez consulté et que nous aurons de grands égards pour votre opinion ; mais doublons le pas, mon ami, il me semble que nous allons trouver Roger à Flamarande !