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Je n’espérais pas que Roger pût arriver avant le lendemain. Mme de Montesparre, qui avait été prévenue par télégramme, était déjà rendue au manoir. Elle vint au-devant de nous avec les Michelin et Ambroise. Ni Gaston, ni Roger, ni Salcède, n’étaient là. On avait préparé le donjon pour les deux dames et leurs femmes. Il y avait de bons lits tout neufs, des meubles, que je reconnus pour les avoir vus au Refuge, des tapis, du feu de genévrier dans les cheminées pour bien assainir l’air. M. de Salcède avait dû veiller à tout. On avait dressé dans la chapelle un catafalque de cyprès pour recevoir le cercueil. Le curé de Saint- Julien l’attendait pour lui dire des prières. Le service et la descente dans le caveau devaient avoir lieu le lendemain. M. de Salcède avait-il présidé aussi à ces préparatifs ? faisait-il à son rival les honneurs du sanctuaire de Flamarande ?


Quand tout fut installé, je me rendis à l’invitation des Michelin, qui ne voulaient pas dîner sans moi, et on me présenta officiellement Charlotte, que j’avais déjà aperçue, mais qui vint m’embrasser en m’appelant son parrain. C’était une angélique créature, la distinction même dans son petit habillement de deuil en sergette noire, l’air intelligent et affectueux. Je fus touché de son accueil jusqu’au fond du cœur, et le désir de la voir heureuse vint se joindre à celui de lui voir retenir Gaston au fond de sa montagne. Je reconnus bien vite que personne ne se doutait de la vérité relativement à lui, sinon Ambroise Yvoine, qui savait tout et n’en faisait rien paraître. Il était très franc malgré sa grande habileté, et je vis, à l’accueil vraiment cordial qu’il me fit, qu’il n’avait aucun soupçon de mon exploration au Refuge.

J’étais donc tenu par ces braves gens, comme par Mme de Flamarande et par Roger, pour le plus excellent et le plus délicat des hommes. Je vis bientôt que M. de Salcède et Mme de Montesparre avaient de moi la même opinion, et ce fut Ambroise qui, dans la soirée, en fumant sa pipe avec moi dans le jardin, — il méprisait mes cigares, — me mit au courant de ma situation dans les esprits.

— Voyez-vous, me dit-il, quand je vous ai reconnu déguisé, dans le temps, à la Violette, amenant ici le petit, je me suis dit que vous étiez un malin et que vous vouliez cacher quelque secret de votre maître. Mon idée a été d’abord que l’enfant appartenait à M. le comte à l’insu de sa femme ; mais quand les recherches auxquelles M. Alphonse m’a employé m’ont fait savoir les affaires de Sévines, j’ai compris pourquoi vous aviez eu tant de tristesse et de tourment ici jusqu’à en être malade. Vous aviez parlé dans la fièvre, monsieur Charles, vous m’aviez dit votre secret, croyant parler tantôt à M. le comte, tantôt à madame. — C’est votre fils, disiez-vous,