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FLAMARANDE.

pria de rester un peu ; j’acceptai, car la chose importante pour le moment, c’était de surveiller Roger, et d’être prêt à lui expliquer tout ce qui pourrait lui sembler étrange. On parlait de partir le lendemain pour Montesparre. Roger y fit opposition. Il n’avait, disait-il, nulle hâte de quitter ce curieux rocher de Flamarande où probablement il ne reviendrait jamais. — Ce n’est pas là, disait-il, qu’il aurait du plaisir à finir ses jours ; le pays était triste à se brûler la cervelle, le château effroyable comme un roman d’Anne Radcliiïe, et les circonstances où l’on s’y trouvait n’étaient pas précisément gaies. Mais avec tout cela, ajouta-t-il, c’est un endroit intéressant pour nous, puisque c’est le berceau et le tombeau des Flamarande, et j’aimerais bien à l’emporter dans mon souvenir. J’y suis arrivé la nuit, je n’ai pas eu un moment aujourd’hui pour en faire le tour. Restons-y encore vingt-quatre heures, chère mère, si tu n’y es pas trop mal.

— J’y suis très bien, répondit la comtesse, qui ne résistait pas au désir de revoir Gaston.

Mme de Montesparre, plus prudente, gronda Roger. — Enfant gâté, lui dit-elle, vous savez bien que votre mère, fût-elle couchée sur des épines, vous répondrait qu’elle est sur des roses pour peu que vous eussiez le désir de l’y laisser ; mais comment pouvez-vous croire qu’elle soit bien ici ?

— Qu’elle prenne ma chambre au grand pavillon, reprit Roger, c’est une antiquaille très curieuse : tentures, bahuts, dressoirs, rien n’y manque, et la salle à manger est d’un grand style. J’ai dormi comme un roi dans une citadelle de huit pieds carrés, et il n’y a pas de rats, puisqu’il y a encore des rideaux.

— C’est vrai, répondis-je, mais il faut avoir votre âge pour dormir au milieu du bruit de la ferme, et je crains que cette nuit votre beau sommeil de vingt ans ne soit troublé par les chants des convives de Michelin.

— Comment ! ces drôles-là vont chanter et boire toute la nuit au milieu de notre deuil ? J’y mettrai ordre, je t’en réponds.

— Non pas, mon enfant, dit Mme de Flamarande, ce serait leur faire une grave impolitesse. Roire à la mémoire des morts et à l’avenir des vivans, c’est leur politesse à eux ; tu viens de voyager, tu dois savoir que partout il faut se soumettre aux usages, quand même ils nous choquent ou nous gênent.

— Tu as raison, maman, toujours raison ; mais, puisque te voilà forcée de passer encore une nuit ici, pars demain pour Montesparre et laisse-moi rester à Flamarande un jour ou deux. Il faut bien que je connaisse mon domaine, car ceci est mon domaine, il n’y en aura jamais de plus assuré.