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souterrains. Permis encore à nous à entendre la voix attristée de l’Ecclésiaste dans ces corridors éternellement silencieux.

Je relisais hier soir dans Josèphe le récit de l’agonie de la nationalité juive, expirant dans ce même temple dont j’étudie les vestiges, comme la vie qui reflue au cœur avant de s’éteindre. En voyant Israël périr, sa tâche accomplie, on pense involontairement à ces insectes qui rampent durant de longs mois sans se douter qu’ils portent en eux le germe d’une forme meilleure : le jour venu et la métamorphose achevée, la chrysalide abandonnée disparaît, tandis que le nouveau-né monte sur ses ailes radieuses dans la lumière. De même le peuple imprudent qui a livré son âme à des races plus avisées tombe, cadavre lui-même, en défendant le cadavre de son culte. L’anarchie, l’oppression, la misère, ont eu raison des derniers lambeaux de l’organisation hébraïque ; parfois un souffle de délivrance passe sur la Judée : un messie paraît, c’est lui ! On accourt, on le suit, pour le voir finir sur la croix du proconsul. Le joug s’appesantit, et le pauvre peuple retombe, plus faible de son nouvel espoir trompé. Haineux et divisés, comme tous les malheureux et les vaincus, incapables d’un effort commun par suite des suspicions intestines, âpres aux restes chimériques du pouvoir et du sacerdoce, rien ne leur manque de ce qu’il faut pour faire mourir une grande nation. Les purs s’isolent des hésitans ; les derniers tenans de la loi, les zélateurs, à la suite des massacres de Césarée, s’enferment dans la ville, et, la ville prise, dans le temple. Là, derrière l’autel menacé par Titus, une poignée de sectaires oppose au colosse romain la plus héroïque défense, rendons-leur justice, qu’ait enregistrée l’histoire militaire. « Leur audace était plus grande que leur nombre, et ils redoutaient plus de vivre que de mourir, » dit Tacite, un expert en courage.

Il faut lire dans Josèphe, dont l’attitude douteuse entre les deux camps rend l’admiration peu suspecte, les péripéties de cette résistance acharnée : comment, cédant pied à pied la haute ville, la tour Antonia, l’enceinte du Haram, dont les remparts les avaient longtemps protégés, les portiques et les galeries du temple, les derniers combattans d’Israël vinrent se faire écraser sur le saint des saints, sur cette pierre de la Sakrah, où avait ruisselé le sang de tant d’autres holocaustes, — comment la torche d’un légionnaire, jetée sur les lambris de cèdre, réduisit en cendres le monument vénérable, qui ne devait plus se relever. Tous ceux des Juifs qui ne furent pas vendus comme esclaves, traînés au triomphe capitolin ou dispersés aux quatre coins du monde pour errer dans un éternel exil, se réfugièrent dans les labyrinthes souterrains du Moriah. Ombres vivantes dans ces cavernes funèbres, ils ne tardèrent pas à y mourir