Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/540

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des effendis obèses qui essaient péniblement leur aptitude au bonheur éternel. On y voit souvent quelque grave et haut fonctionnaire orné de cette rotondité qui est partout l’apanage des gens satisfaits d’eux-mêmes et de la fortune, et qui, chez les Turcs, est presque un uniforme administratif ; le malheureux se tourne et se retourne, suant à grosses gouttes, pour suivre dans la porte céleste le jeune mollah dont il envie pour la première fois la pieuse maigreur ; d’un air de componction et riant sous cape, l’ecclésiastique tire à deux mains sur le magistrat essoufflé. Vains efforts ! l’excellence ne passe pas et s’en va un peu honteuse, non sans remettre une libérale offrande à son guide, pour qu’il raconte au public comment elle est sortie victorieuse de l’épreuve imposée aux croyans ; il faut bien garder son prestige vis-à-vis de ses administrés.

Nous voudrions encore, en parcourant le Haram, nous attarder à quelques wélys (chapelles) aux dômes provocans, en forme de mitres, brodés de sentences de la loi en lettres koufiques, ou étudier les beaux vestiges de la Porte-Dorée, les assises antiques de la tour Antonia ; mais les royaumes souterrains nous appellent avec leur fascination mystérieuse. Nous descendons, par un soupirail de l’angle sud-est, parmi des matériaux gigantesques, debout encore ou gisans sur le flanc, dans l’ombre auguste de ces voûtes, portées par des forêts de piliers semblables à des tours, que l’imagination orientale a peuplées de djinns et de génies malfaisans. C’est Salomon qui les a enchaînés dans cet Érèbe factice : expert aux formules magiques, il les a contraints à mettre en place ces moellons qu’une armée ne remuerait pas, à soutenir ces voûtes qui portent la plate-forme et ses temples, à creuser ce réseau d’aqueducs et de citernes, amenant les eaux des montagnes lointaines ou dégorgeant le sang des hécatombes ; puis il les a écroués pour l’éternité aux pierres de leurs piliers. Malheur aux âmes qui s’égareraient dans ces labyrinthes infernaux sans y jeter un petit caillou ! Les djinns les saisiraient et se les renverraient dans la nuit éternelle comme une balle ensorcelée.

Hélas ! la science lumineuse et impitoyable est descendue, elle aussi, dans ces ténèbres : elle a regardé l’appareil des pierres, la courbe des arcs, la disposition des portiques, si complètement analogue à celle de la Porte-Dorée, et nous voici obligés de confesser que les plus vieilles de ces substructions colossales remontent à l’époque hérodienne, et la majeure partie aux derniers califes. N’importe, si les vaillans ouvriers qui ont de la sorte étayé la montagne sont plus voisins de nous que nous ne l’aurions cru d’abord, ils n’en ont pas moins continué et rétabli l’œuvre du roi magnifique, qui a commencé sans nul doute ces réservoirs et ces palais