Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/571

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la population totale, ont leurs quartiers à part, leurs journaux, leurs brasseries, leurs théâtres. A Cincinnati, il y a un endroit de la ville qu’on appelle over the Rhine, de l’autre côté du Rhin, et l’on désigne ainsi la rive de l’Ohio qu’occupent les Allemands. Dans l’Illinois, le Minnesota, le Wisconsin, les Suédois et les Norvégiens ont fondé aussi des colonies séparées, habitent seuls des villages entiers. Quant aux Irlandais, ils se rencontrent en assez grand nombre dans la plupart des centres habités et des fermes de l’ouest, mais préfèrent ceux du littoral. Les représentans de la race latine, les Français, les Italiens, n’apparaissent que dans quelques grandes villes en bandes éparses et mécontentes. Les Canadiens d’origine française sont plus nombreux, plus stables, et habitent encore, par exemple dans l’Indiana, des villages qu’ils ont fondés au XVIIIe siècle, quand les trappeurs couraient par ces régions. Vincennes est de ce nombre. On n’a pas touché aux noms de ces localités, et notre langue s’y parle toujours avec l’emploi favori de certaines expressions qui ont vieilli chez nous et un accent qui rappelle celui des Normands, qui furent les premiers colons du Canada. Dans ces stations lointaines, on retrouve vivantes plus d’une de ces chansons, plus d’une de ces danses populaires qui égayaient avant la révolution les campagnes du nord de la France. Dans le Canada, ces particularités de langage et de coutumes se sont mieux conservées encore, et frappent immédiatement le voyageur à Montréal, à Québec, et dans les fermes environnantes.

Toutes les villes de l’ouest que nous avons citées ont une population qui varie de 100,000 à 250,000 âmes. Il en est d’autres, moins peuplées sans doute, qui ont aussi une grande importance, telles que Indianapolis, « la ville des chemins de fer, » au centre de l’Indiana ; mais à quoi bon en continuer l’énumération et s’y arrêter plus longtemps ? Toutes ces places ne sont-elles pas comme les vassales des deux véritables reines de l’ouest, Chicago et Saint-Louis, devant lesquelles toute autre ville s’efface ?


II. — CHICAGO.

En 1830, il n’existait vers la pointe sud-ouest du lac Michigan qu’un petit fort bâti par le gouvernement fédéral pour tenir en respect les Indiens. On l’appelait le Fort Dearborn ou Chicago, et ce dernier nom était déjà apparu dans les cartes des explorateurs, surtout des pères jésuites français partis du Canada, et qui les premiers, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, étaient passés par ces parages. Il signifie, dit-on, puant dans la langue des Indiens de ces contrées, et il avait été donné par eux à ce lieu, soit à cause des champs d’oignons sauvages qui y poussaient spontanément, soit à