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cause de la mauvaise odeur qui se dégageait d’un marécage formé par un petit cours d’eau, lequel venait paresseusement sur ce point se déverser dans le lac. Ce cours d’eau se nommait la Rivière de Chicago, et le fort était bâti sur la rive droite, non loin de l’embouchure.

Quelques trappeurs canadiens, toujours à la piste du castor et du bison, quelques colons hardis, quelques pionniers en quête d’aventures, vivaient à l’abri du fort. C’était là aussi que la fameuse maison Astor de New-York entreposait les fourrures que les courageux traitans qu’elle employait allaient chercher jusque sur les rivages de l’Océan-Pacifique, dans l’Oregon, à travers tout le continent américain. Plus d’une alerte vint effrayer la petite colonie, et plus d’une fois les Peaux-Rouges surprirent les blancs à l’improviste et les massacrèrent. On les punit comme ils le méritaient, et le civilisé finit par triompher du sauvage. Alors accoururent d’autres colons, et un embryon de ville commença de se fonder : on l’appela Chicago du nom de la petite rivière qui la baignait. En 1837, la ville était incorporée, c’est-à-dire que son organisation municipale était reconnue ; elle comptait déjà plus de 4,000 habitans. Elle envoya bientôt des navires sur les lacs, au nord jusque dans les anses les plus éloignées du Lac-Supérieur, à l’est sur tous les ports du lac Erié jusqu’à Buffalo. Elle profita du canal de l’Erié pour faire avec Albany et New-York un certain commerce. Elle reçut, elle accumula dans ses greniers automatiques ou élévateurs tout le grain que produisaient les fermes de cette partie de l’ouest, et expédia ces grains par eau jusqu’à New-York, Montréal et Québec. Un jour même, elle eut l’audace d’envoyer un de ses navires jusqu’à la mer par les lacs, les canaux, le fleuve Saint-Laurent, et la de l’expédier sans transbordement jusqu’à Liverpool à travers tout l’Atlantique ; ce fait s’est depuis renouvelé plusieurs fois.

Les forêts qu’on défrichait dans les états et les territoires environnans produisaient beaucoup de bois. Ce bois était débité dans les scieries mécaniques en bardeaux, douelles, planches, madriers, poutres équarries. Chicago entreposa ces matériaux ouvrés en amas énormes dans des docks spéciaux, et en fournit tous ceux qui s’adressèrent à elle. Elle fit mieux, elle se mit à confectionner avec cela des maisons, et les expédia au loin toutes faites, du style voulu et par pièces numérotées. Elle devint bien vite ainsi le premier marché de bois de toute l’Amérique du Nord, comme elle était déjà le premier marché de grains, et allait devenir la place la plus importante pour le commerce des viandes salées. Pour cela, qu’avait-elle à faire ? Recevoir, abriter dans un immense parc voisin de la cité tout le bétail provenant des fermes de l’ouest, et dépecer, saler, fumer et mettre en barriques dans ses nombreuses boucheries,