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Lord Herbert de Cherbury est, comme Descartes, un philosophe gentilhomme, et sa vie est plus mondaine, plus aventureuse encore que celle de Descartes : il ne s’est pas contenté, comme celui-ci, du rôle de spectateur, il a voulu être acteur sur la scène du monde, « dans les comédies qui s’y jouent. » Lui-même du reste nous a laissé des mémoires curieux et amusans, où il raconte avec vanité et même fatuité ses romanesques aventures. M. de Rémusat n’a pas pu résister ici à son goût de biographe comme il l’avait fait pour Walter Raleigh ; il s’est épris d’un goût vif pour la personne et les écrits de lord Herbert, trop peu connus des philosophes, et, craignant de lui donner une part trop disproportionnée dans son ouvrage, il lui a consacré un volume séparé, d’une lecture agréable aux lettrés et instructif pour les savans.

Né sous le règne d’Elisabeth, en 1582, marié à seize ans à une de ses cousines, après dix ans de mariage il éprouva le besoin de voir le monde, et il quitta sa femme pour ne la plus revoir. C’est alors que commencent ses aventures. Nous le voyons d’abord à Paris, à la cour de Henri IV, chez les Montmorency, à Chantilly, dont il a laissé une description curieuse, et la chasse, l’équitation, la galanterie, les duels, se partagent son temps, suivant la mode de la vie élégante de l’époque. Bien entendu, il se donne l’avantage dans toutes les affaires; et s’il n’était point Anglais, on pourrait le croire gascon. Bientôt sir Herbert quitte la cour pour le métier des armes : le voici volontaire dans l’armée de Maurice de Nassau, l’illustre prince d’Orange; il paraît s’être plus occupé de duels que de batailles et n’avoir vu dans la guerre qu’une « occasion favorable à des prouesses de chevalier errant. » De retour en Angleterre, il nous raconte, toujours d’un ton avantageux, l’histoire des mystérieuses et platoniques amours dont il aurait été l’objet de la part de plusieurs belles et grandes dames du temps, entre autres de lady Ayres, qui portait constamment son portrait à son cou. Le mari, peu satisfait, quoique, suivant sir Herbert, il n’eût aucun droit sérieux de se plaindre, voulut le tuer. Herbert réussit à grand’peine à s’échapper de ses mains après l’avoir blessé; il fallut que le conseil privé, singulier arbitre en cette affaire, donnât tort au mari vaincu et lui fît honte de sa conduite. Après ce court séjour dans son pays natal, il recommença de courir le monde, soit comme volontaire, soit comme voyageur : il visita l’Italie plus en curieux qu’en artiste; mais un jour, étant à Rome, et ayant assisté à un consistoire présidé par le pape, il se vit sur le point d’en recevoir la bénédiction : là-dessus il s’esquive un peu brusquement; devenu suspect à cette occasion, il est obligé de quitter Rome en toute hâte. Cependant l’âge était venu, le temps des aventures, des voyages, des folies chevaleresques commençait à passer. Il fallait songer à une carrière