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plus accoutumée à se servir de la liberté. Les faits sur lesquels elle a ouvert parfois des enquêtes n’étaient que des accidens définis, limités, et le parlement, en cédant à une pression momentanée de l’opinion, en paraissant sortir de son rôle ordinaire pour accomplir une œuvre de circonstance, avait sa règle et son frein dans une société politique organisée, toujours intacte. C’était bien différent, bien autrement compliqué pour la France de 1871. Ce n’était plus un parlement régulier ayant affaire à une crise accidentelle, partielle. La crise atteignait l’existence nationale de la France dans ses racines, dans tous ses ressorts mis à nu. Le sol mutilé, la puissance militaire abattue, l’unité politique elle-même mise en péril, les divisions fomentées entre Paris et les provinces, les services publics livrés à toutes les confusions, la fortune matérielle compromise, rien ne manquait à cette vaste désorganisation, renouvelée de la guerre de cent ans. Partout des ruines, des dangers ou des menaces, et au milieu des ruines s’élevait seule une assemblée souveraine née de la veille, forcée de tenir tête à tous les orages, de suppléer à toutes les institutions, ayant autant de passions que de bonne volonté, autant d’inexpérience que de pouvoir. De là les difficultés d’une enquête engagée dans de telles conditions, exposée à s’étendre démesurément, à s’égarer, à refléter dans son cours le désordre des esprits, les préoccupations, les mobilités, les contradictions de la politique.

Assurément la révision d’un passé si récent encore, si cruellement instructif, était un acte de moralité et de justice. Le pays était intéressé à voir clair dans cette obscurité sanglante de six mois, à mesurer l’étendue et la profondeur de ses désastres, à savoir ce que l’empire, la révolution, les hommes, les gouvernemens, avaient fait de l’honneur et de la fortune de la France. L’enquête, si difficile, si compliquée, si délicate qu’elle fût, répondait à une nécessité, et je ne veux pas dire qu’une partie de cette œuvre nécessaire n’ait point été accomplie. L’assemblée au contraire s’est mise à cette recherche avec une sorte de passion douloureuse ; elle n’a ménagé ni le temps, ni la bonne volonté, ni les efforts. Les commissions qu’elle a dès l’origine armées de ses pleins pouvoirs se sont distribué les rôles : aux uns l’enquête morale, aux autres l’enquête matérielle ; à M. Saint-Marc Girardin, l’éminent écrivain qui était encore de ce monde, et qui a le premier présidé la commission du 4 septembre, le soin de tracer les grandes lignes de l’œuvre ; à M. le comte Dam l’histoire politique, — à des capitaines bien intentionnés, M. Chaper, M. Perrot, l’histoire de la guerre à Paris et en province, — à un député de l’ouest, M. de Laborderie, l’exposé des mésaventures du camp de Conlie et des mobilisés de Bretagne, —