moi ? Je fis demander en toute hâte le garçon de bureau, le prote, les imprimeurs, mais sans obtenir d’explication : personne n’avait assisté à l’arrivée de la lettre. Quelques jours plus tard, je reçus la visite de mon blanchisseur Ah-ri.
— Vous avez besoin de diable ? — très bien. Moi l’attraperai.
Et Ah-ri revint quelques minutes après avec un petit Chinois de dix ans à peu près, dont l’air éveillé me fit une si bonne impression que je le pris sur l’heure à mon service. Quand le marché fut conclu, je lui demandai son nom.
— Wan-li.
— Quoi ! tu es le gamin que m’a envoyé Hop-sing ? Pourquoi n’es-tu pas venu plus tôt et comment t’y es-tu pris pour faire arriver cette lettre ?
Wan-li me regarda de côté et se mit à rire : — Je l’ai lancée par la fenêtre.
Voyant que je ne comprenais pas encore, il prit un air embarrassé, puis, m’arrachant la lettre que je tenais, s’élança dans la rue. L’instant d’après, la lettre entra par la fenêtre, fit deux fois le tour de la chambre et se posa légèrement sur ma table comme un oiseau. Avant que je fusse revenu de ma surprise, Wan-li souriant était de retour. Ses petits yeux retroussés se portèrent sur la lettre, puis sur moi : — Voilà ! dit-il.
Puis il retomba dans un silence grave. Je ne trouvai rien à répondre. Ce fut de cette façon qu’il entra en besogne.
Son second tour d’adresse, je regrette de le dire, eut moins de succès : l’un des porteurs ordinaires du journal tomba malade, et Wan-li fut chargé de le remplacer provisoirement. Afin d’empêcher toute erreur, on lui avait montré la veille au soir le chemin qu’il devait suivre ; dès l’aube, il reçut le nombre voulu d’exemplaires et revint au bout d’une heure les mains vides. Tous les journaux étaient distribués, assura-t-il. Malheureusement pour Wan-li, les abonnés commencèrent dès huit heures à remplir le bureau de leurs plaintes. Ils avaient reçu le journal, mais comment ? Par feuilles détachées et roulées tantôt sous forme de balles qui, brisant leurs vitres, étaient venues frapper au visage ceux qui étaient déjà debout, tantôt en longues allumettes par le trou des serrures, ou encore dans la cheminée, ou bien fichées contre la porte au moyen d’épingles, bourrées dans le ventilateur, noyées dans la cruche au lait. Un abonné qui attendit quelque temps à la porte du bureau afin d’avoir une entrevue personnelle avec Wan-li, enfermé au moment même pour plus de sûreté dans ma chambre, me dit avec des larmes de rage qu’il avait été éveillé par un rugissement hideux, que, s’étant levé fort inquiet, il fut bouleversé par l’apparition soudaine de l’Étoile du Nord tordue de manière à représenter un boomerang ou massue