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FLAMARANDE.

découvert la vérité, et quand vous le saurez, mes amis, vous ne le nierez plus.

Je me taisais, voulant savoir s’il y avait encore moyen de lutter contre l’identité d’Espérance avec Gaston. De son côté, Ambroise, absorbé et regardant le feu, était probablement en proie à l’incertitude. Il avait juré de ne point parler. Parlerait-il ? Gaston avait tout à apprendre, puisque, sauf le nom de sa mère, il ne savait rien et ne pouvait rien nier ; mais je lisais dans ses regards la joie profonde de l’entendre justifier par son propre fils.

— Je vais vous dire, reprit Roger, quel homme est M. Ferras, car vous ne le connaissez pas, non, pas même toi, Charles, qui l’as vu pendant douze ans dans l’intimité, et qui te crois très pénétrant. Eh bien ! M. Ferras, qui a l’air d’un bonhomme indifférent à tout ce qui n’est pas la bibliomanie et le jeu d’échecs, est beaucoup plus fin que toi. Il n’a jamais eu d’épanchemens avec toi ; bien que tu aies beaucoup provoqué sa confiance, tu n’as pas pu l’obtenir, et tu en as conclu qu’il était froid ou nul. Le fait est qu’il n’approuvait pas ta conduite dans l’affaire de Gaston. Il pensait que tu es honnête et bon, mais imbu de certains préjugés et trop dévoué à mon père pour l’être sans réserve à ma mère. Enfin il avait combattu la confiance que ma mère mettait en toi, et il ne l’a jamais partagée absolument ; mais jamais il n’avait provoqué en moi le moindre souvenir d’enfance relatif à mon frère, dont il croyait l’avenir entièrement sacrifié. Quand, il y a quinze jours, nous avons appris à Odessa par télégramme la mort de mon père, j’ai remarqué en lui un changement extraordinaire, et lui, qui ne m’a jamais fait ce qu’on appelle un sermon, lui qui procède toujours par courtes sentences, assez incisives sous leur apparente douceur, il s’est mis tout à coup à me parler avec abandon. Il m’a repris ouvertement de ma légèreté, de ma prodigalité, et m’a fait entendre que je n’allais pas entrer en possession d’une aussi grande fortune que je me l’étais toujours imaginé. Peu à peu, combattant toujours mes réponses et voyant l’impatience qu’il me causait, car, je l’avoue, me sentant libre et si près de ma majorité, j’étais fort tenté de l’envoyer au diable, il a cru devoir, — et je reconnais qu’il a bien fait, — frapper un grand coup pour me faire rentrer en moi-même. Il m’a demandé si j’étais bien sûr d’être fils unique et de pouvoir le prouver. L’écluse était ouverte. Le souvenir de Gaston se réveilla en moi. J’accablai Ferras de questions. Il me fit beaucoup attendre. Nous voyagions tête à tête, il avait le temps de s’expliquer, et il me questionnait à son tour. Quand il vit bien le fond de mon cœur, quand il fut certain qu’au lieu d’être contrarié d’avoir un frère, j’avais le cerveau en feu du désir de le retrouver et de le rendre à ma mère, il me dit tout, après toutefois m’avoir fait jurer sur