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REVUE DES DEUX MONDES.

— Vous appelleriez un mauvais sentiment de douter… malgré lui…

— De l’honneur de sa mère ? reprit vivement Salcède. Certes ce serait un conseil du démon.

— Pourtant, m’écriai-je avec une insurmontable indignation, vous aviez prévu ce mauvais sentiment comme une chose toute naturelle et presque inévitable, quand vous avez arraché à madame la promesse de se taire. Mme de Montesparre en a jugé ainsi, et moi je vous ai cru tous les trois ! Je n’aurais jamais avoué à Roger les droits légaux de Gaston, qui ne peuvent s’établir que par un mensonge à Dieu et aux hommes.

J’étais fort animé ; c’était mon devoir de repousser toutes les équivoques et de frapper un grand coup pour arriver vite au fait. M. de Salcède se leva et me regarda avec une fixité effrayante. Cet homme, que j’avais connu si timide et que je croyais si timoré, était donc capable, lui aussi, de soutenir le mensonge.

Il me fit peur, car je vis que Roger était perdu, et que sa dernière garantie, l’honneur de Salcède, lui faisait défaut. Je le regardais d’un air de reproche, soutenant la menace de son regard. Il resta debout, sourit dédaigneusement et me dit : — Je ne croyais pas, monsieur Charles, que vous eussiez jamais révoqué en doute l’honneur immaculé de la personne sacrée dont nous parlons ! Permettez-moi d’en être surpris après la confiance dont elle vous a si longtemps honoré.

— Monsieur le marquis ne peut-il supposer, répondis-je, que cette confiance a été entière ?

Ce fut une parole irréfléchie et malheureuse, contraire à la franchise et qui m’entraîna dans un abîme.

— Vous en avez menti, s’écria M. de Salcède. Vous croyez me surprendre et m’arracher l’aveu de quelque honteux secret. Vous mentez lâchement ! Jamais Mme de Flamarande ne vous a dit ce que vous donnez à entendre, parce qu’elle ne pouvait pas le dire, parce que ce serait un outrage gratuit à la vérité, parce qu’en s’accusant d’une faute, elle m’accuserait d’un crime !

Je me levai à mon tour ; mon esprit égaré faisait fausse route. M. de Salcède faisait allusion au crime de trahison envers son ami. Je m’imaginai qu’il se défendait d’avoir surpris et violenté la femme qu’il aimait éperdument. Mme de Flamarande ne vous accuse de rien, lui dis-je ; c’est moi seul qui vous accuse, puisque vous m’y forcez ! Vous vous défendez d’avoir commis un attentat dans le feu de la jeunesse… Eh bien ! vous avez tort, monsieur le marquis, vous feriez mieux d’avouer ou de feindre d’avouer, au moins devant moi, que vous avez surpris dans son sommeil une jeune femme, une enfant qui n’a point osé crier et qui n’a pas su se défendre…