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dix chiens dressés à cette chasse qui coûtèrent 100 thalers chacun. Ce fut aussi un Italien, Bernardo Vanini, qui dans le Brandebourg obtint vers cette même époque le monopole de la recherche des truffes, à la condition d’en fournir annuellement quelques livres pour la cuisine de la cour. Le Wurtemberg eut aussi ses chiens dressés à l’imitation de deux barboni donnés par la cour de Turin au prince héréditaire de ce pays ; bref, ce fut un caprice, une mode dans les grandes et petites cours d’Allemagne que la chasse à la truffe par les truffel-hunde, les canes tuberario-venatici, comme les appelle un de leurs historiens. Ce goût pour le chien se comprend dans les pays où la truffe n’est l’objet que d’une pure distraction et non d’une exploitation lucrative. On peut bien citer, comme exception, les chiens truffiers de la Haute-Marne, dont feu le regretté Antoine Passy a rappelé les services, et qui fouillent non la truffe noire, mais la truffe d’été et la truffe rousse de Bourgogne dans les cépées de coudriers et les bois de pins sylvestres ; mais en général dans les pays de grandes truffières le porc est l’agent par excellence de cette récolte souterraine. D’après Munier, les trusteurs du Poitou et de l’Angoumois n’emploient que des porcs de cinq à six mois, qu’ils renouvellent tous les ans : dans la Provence au contraire, on aime mieux laisser vieillir les sujets, dont l’aptitude s’accroît par l’expérience, et comme la saison des truffes est courte et qu’il faut nourrir l’animal toute l’année, on préfère la truie au porc mâle, parce qu’elle donne comme produit, en outre de son travail, une ou deux portées de nourrissons.

La préférence donnée au porc ou au chien tient du reste à des considérations variées, souvent personnelles, à ceux qui les emploient. Le porc a plus de force dans le groin, il fouit le sol même dur et fait aux trois quarts la tâche de déterreur ; le chien se fatigue plus vite, il s’endolorit les pieds à gratter les terres rocailleuses ou compactes : il laisse parfois beaucoup à faire à son maître. D’ailleurs, pour peu que l’instinct de la chasse s’éveille en lui (on évite à dessein les races de chiens chasseurs), il s’amuse à courir le gibier ; mais il reprend tous ses avantages auprès des rabassiers marrons, véritables braconniers des truffes. Ceux-ci, grands batteurs de bois, vivant de maraude et forcés d’étendre le champ de leurs courses, dressent leurs chiens à marquer seulement de la patte les places où gît la truffe. Ils profitent à la hâte de cet indice, ils fouillent sans discrétion ni mesure le champ d’autrui et partent avec leur complice de rapine vers de nouveaux gîtes, où l’œil jaloux du propriétaire se trouve par hasard en défaut. Ce rôle de pourvoyeur illicite n’est pourtant pas fatalement dévolu au chien, il sert aussi légalement d’honnêtes truffiers, et tel d’entre ces derniers, comme le brave Jouval du hameau des Barbiers, près de Croagnes, m’a